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Les Cahiers de l'Égaré

Histoire de places / JC Grosse

5 Mars 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #JCG, #cahiers de l'égaré, #théâtre, #spectacles, #écriture

Estimado autor-editor,
Merci infiniment pour cette œuvre, HISTOIRE DE PLACES. Quelle audace. J’ai aimé. C’est aussi dans ces palettes-là qu’il me vient, parfois, d’écrire, de lire et de jouer. Je vous en remercie. Cet envoi qui était inattendu. Le style que vous avez développé me ressemble à plusieurs niveaux. Ce n’est pas d’aujourd’hui. 
Je dois en ces temps-ci rester plus qu’avant concentrée sur le projet dont je vous ai parlé, peut-être ambi’cieux, peut-être ode’à’cieux. Je travaille actuellement d’arrache-pied et je sais très bien que je ne suis qu’à ses débuts. 
Je salue votre plume. Cette manière de dire et de faire jouer me paraît juste. N’importe quelle écriture des pays francophones sera pour moi toujours une étrangeté… apprivoisée, oui, que je chéris de jour en jour à une vitesse grandissante qui va de trop en trop vers la légèreté qui gouverne toutes mes lourdeurs pour écraser la gravité mais glisse dessus ! 
Je vous fais ce retour parce que je peux vous dire que la matière de votre livre est faite pour ce qu’elle a été conçue. Une réussite en soi. On ne s’invente pas du métier. Le bonheur d’avoir vu cette lenteur s’installer grâce aux rythmes de l’écriture et les didascalies, fabuleuses, qu’il vous est venu à l’idée d’ajouter souvent pour saupoudrer l’œuvre et condimenter ainsi les paroles dites, et relevées. 
Que Dieu bénisse votre plume encore longtemps. Vos images m’ont paru si simples et belles… traînées, justement, par cette simplicité-là, époustouflante. 
Je reprends mon travail. Les autres livres, évidement, ce sera pour un après dans le temps. 
Recevez ma gratitude pour vos dons,
Virginia 
Histoire de places / JC Grosse
NOTE DE LECTURE : by Fab Ricienne
Histoire de places. Jean-Claude Grosse. 2016
On entre dans le texte accompagné par l'auteur Jean-Claude Grosse qui nous en fait la présentation / genèse. 
On entre dans la scène avec les deux comédiens, elle / la coach et lui / le stagiaire, et tout le public interpelé et engagé par ce dialogue interactif. 
On entre dans l'absurde avec les dialogues savoureux (j'ai pensé à Raymond Devos) de ces deux clowns sans nez, leurs questions sans réponses, leurs tâtonnements sans doute. 
On entre avec eux dans l'essentiel, le sens de la vie, le bon sens, le sens propre et le sens figuré, parfois le sens critique (voire politique), ce qui finalement est tellement plus important que la place. 
Je pense alors au proverbe qui dit : "Le but, c'est le chemin." C'est un peu de cette démarche que l'auteur et les comédiens nous invitent à faire avec eux, en se décentrant, en commençant par le "pas de côté" avant de pouvoir peut-être se lancer dans le tango...
une pièce dépassée, déplacée sur l'échiquier du merdier global
une pièce dépassée, déplacée sur l'échiquier du merdier global
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une pièce dépassée, déplacée sur l'échiquier du merdier global
une pièce dépassée, déplacée sur l'échiquier du merdier global
une pièce dépassée, déplacée sur l'échiquier du merdier global

une pièce dépassée, déplacée sur l'échiquier du merdier global

texte non retenu dans la pièce

Une histoire de place, le monologue de l'homme qui rit

pardon, excusez-moi, je viens de me rendre compte que je ne suis pas à ma place, excusez-moi de vous déranger, c'est peut-être votre place que j'occupe, attendez, je la libère pour que vous puissiez poser votre derrière sur votre chaise, là, à la bonne place, votre place si méritée, depuis toujours attribuée, de naissance, d'avant votre naissance car il n'y a pas de hasard, si vous êtes là aujourd'hui, à votre juste place c'est que vous deviez y être depuis toujours ; il y a une juste place attribuée pour chacun d'entre nous, depuis toujours

j'ai un peu de mal avec la place, je ne me sens jamais à ma place comme si j'étais déplacé sans cesse, dépassé c'est sûr, déplacé, c'est moins sûr car en réalité, je vais de place en place qui ne sont pas les miennes, je me déplace, je ne suis pas déplacé, pas déporté quoique tous les miens l'ont été, il fut un temps quand on déportait

parce que voyez-vous, je ne sais pas comment vous présenter ça, je ne comprends pas bien comment j'ai osé prendre la parole là maintenant, devant vous, je suis si réservé d'habitude, je rentre mon cou dans mon col, je rentre mes épaules mon ventre, je respire le moins d'air possible, non, je n'ai pas peur de la pollution, je crois simplement que je vole l'air de quelqu'un, ça fait une drôle d'impression de se croire un voleur d'air 

Note d’intention

Peut-on porter un regard naïf et lucide sur nous et le monde dans lequel nous vivons ?

Cette question m’a amené à me demander quel type de personnage pouvait avoir un tel regard. C’est nécessairement quelqu’un à la vie minuscule, un obscur, un sans-grade, un déclassé, un marginal mais pas complètement exclu, un débrouillard usant de ses faiblesses comme d’une force, un qui sait esquiver, s’esquiver, mettre à distance par l’humour, la politesse, pour faire tomber l’agressivité, la violence latente, un qui ne cherche pas l’affrontement, ne prend pas frontalement les gens. Pour obtenir, il faut bien connaître les façons d’obtenir. Notre personnage est un clown sans nez de clown, un Charlot d’aujourd’hui sans la bougeotte de Charlot qui ne tient pas en place, parce que les situations dont il se tire sont multiples. Notre personnage minuscule va être placé dans une situation qui est celle de beaucoup. Il doit se recycler pour se recaser. C’est par un stage qu’il compte changer d’orientation et récupérer une place. Stagiaire, il a donc un coach qui l’initie aux méthodes du management humain.

Ayant fait des études, ayant peut-être été cadre, notre personnage s’interroge pendant ce stage. D’où vient-il ? Comment et par qui a-t-il été éduqué ou formaté ? D’où lui vient cet attachement à la place ? Pourquoi la veut-il fixe ? Pourquoi veut-il la stabilité ? Il s’interroge aussi sur le monde. Pourquoi des marchands, la guerre, la lutte des places...?

Comment rendre sensible cette lutte des places impitoyable qui nous met en concurrence, en compétition, nous empêche de voir que peut-être d’autres vies, d’autres voies sont possibles ?

C’est à travers sa relation avec le coach, une femme, qu’il va tenter comme il dit de se récurer du cortex au cervelet. Vont-ils pouvoir changer de vie, rêver du bonheur ?

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Un stagiaire se prépare à un master en occupation de l’espace et du temps sous la conduite d’un coach réputé, une femme. Faisant un exposé sur la notion de place, le stagiaire est amené à se poser des questions à la fois personnelles et générales. D’où lui vient son besoin d’une place fixe pour la vie ? D’où vient ce monde qui chasse le plus grand nombre de sa place ? Comment se fait-il qu’on ne soit jamais assuré de sa place? Il s’interroge sur son héritage familial, sur l’influence de la religion, des modes. Il s’interroge sur la place des marchands de rêves et d’illusions, exploitant les rêves de meilleur, d’ailleurs du plus grand nombre. Sommes-nous obligés de vivre la vie que nous menons ou pouvons- nous nous en libérer au moins partiellement? La sonnerie retentit. L’exposé tire à sa fin. Le stagiaire joue de moins en moins son rôle. Il comprend que l’enjeu n’est pas la place mais quelle vie vivre. Peut-il vouloir le bonheur ? Il tente une relation avec le coach, une femme qui l’attire depuis la première poignée de mains. Il décide d’être lui-même. Quelle meilleure façon d’être soi-même que de vouloir une relation vraie avec l’autre si l’autre le veut aussi. La fin reste ouverte. Il ose. Sera-t-il entendu ?

Jean-Claude Grosse

Histoire de places

4 spectateurs seront photographiés à leur insu, à l’entrée, et on retrouvera leur photo durant le spectacle sur un tableau mobile avec des cases.

Un carnet, une cravate ? Une spectatrice s’adresse à un spectateur assis attendant le début du spectacle.

elle : Pardon excusez-moi. 

lui : Oui ?
elle : C’est ma place ici.

lui: Ah bon ? Placement libre a dit l’ouvreuse quand on est entré dans la salle. J’ai pris cette place, au premier rang.
Elle était libre quand je me suis assis.

Silence.

C’est votre place ?
Si c’est la chaise que vous avez choisie, bien sûr vous devez vous asseoir dessus. Mais... je l’avais choisie aussi.

Silence.

Est-ce que quelqu’un peut nous départager ?

elle : Nous départager ? C’est ma place.

lui : Je ne vais pas me disputer avec vous, je libère... « notre » place.

Elle prend sa place.

Me voici sans place.

Il cherche à s’asseoir ailleurs. Au public.

Vous êtes venus pour le stage vous aussi ?

Silence.

C’est quand même mieux quand les places sont numérotées.
Je suis contre le placement libre. On se dispute pour une place.

Je préfère le placement numéroté avec pourboire à l’ouvreuse bien sûr.
Ah ben oui avant ça se faisait... Ah ben oui avant maintenant.

Y’avait différents types de places où l’ouvreuse nous plaçait :
Au balcon, à l’orchestre... dans la fosse.

Elle le disait à chaque représentation :
« Vos places sont numérotées, réservées. »

Les diseuses de bonne aventure, elles, attendent que l’histoire passe, pour nous dire: «il n’y a pas de hasard.»
Les Saintes Écritures : « c’était écrit. » C’est pas bête tout ça.

Vous mourez brusquement, vos proches s’écrient : « c’était écrit. »

Elle, le coach, se lève.
Sonnerie. Elle dit :

elle: Bonjour / Bonsoir messieurs dames.

Merci d’être venus pour ce stage:

« comment trouver et garder sa place ?... »

Au stagiaire.

Vous avez 55 minutes pour présenter votre sujet: pourquoi et comment la notion de place doit occuper la première place dans votre vie ?

____________________________________________________________________________-

Silence. Il enlève sa cravate.

le coach : Gardez votre cravate s’il vous plaît.

lui : Je n’en ai plus besoin. Je ne veux plus être coaché.
Je veux devenir moi-même. C’est ce que je découvre avec toi. Changer là maintenant. J’aimerais aussi te faire changer d’avis et changer ta vie ?

le coach : Je ne vous permets pas. Pas devant tout le monde.

Temps.

Tu n’as pas le droit. C’est ma vie privée.

lui : Une vie privée d’amour, t’appelles ça une vie ?

le coach : Que savez-vous de ma vie ?

lui : Ta vie de coach: un costume qui ne te va pas. Qui ne va pas avec ton rêve.
Ta vie de femme : en attente d’une...

le coach : d’une quoi ?

lui : D’une place... pour nous deux ? Silence. Il la regarde intensément.

Je te cherche. Ça s’éclaire pour moi tout d’un coup.
Je nous cherche.
Et toi ?

On continue le jeu :
Qui le chat, qui la souris ? Ou on tombe les masques ?

Tombe le demi-masque du visage du coach.

Vivre vraiment cet instant, c’est ce que je voudrais.
Je te vois.
Ton chemisier ne laisse apparaître aucun centimètre de ta peau.

Un réveil du printemps, un éveil des sens. C’est possible ? Quelques pas de tango... avec moi, tu voudrais ? Il suffirait d’un petit pas de côté et nous serions ailleurs.

elle : Mais tu divagues. Avec les autres stagiaires comme témoins. Ne l’écoutez pas, il fantasme.

lui : Tu serais pour moi odeurs à respirer, instants à danser.

elle : Au public. Un stagiaire poète, c’est la première fois qu’on me fait le coup !...

Elle rit d’un rire moqueur.

J’ai du mal avec la poésie.

Au public.

Vous croyez que ça rend heureux, la poésie ?

lui : Pourquoi pas ?
«Si ma po...ésie rime avec ta peau... aussi. » (Claude Nougaro) 

elle : Au public. Il est fou. Arrête. Tu vois pas que tu es ridicule ?
Excusez-le, il se perd... Cette histoire de places le perturbe.

lui : Tu nous as dit: «servez-vous de votre liberté. À l’américaine. »
Je me libère, je me déclare.
Redeviens libre toi aussi.

Silence.

Je voudrais nous installer dans le temps. T’aimer au jour le jour jusqu’à ce que ça fasse toujours.
Cheminer vers toi, vers ton mystère... vers ce que tu as commencé à me montrer. Et toi, tu le veux?

elle : Vous êtes cruel de me dire ça en public. Tu me tétanises.

lui : Ce qui te tétanise, c’est peut-être un manque de tendresse autrefois ? Des mots qui t’ont blessée... et tu t’es fermée... ?

elle : Pourquoi entrez-vous dans mon intimité ? Je ne t’ai pas fait de confidences.

lui : Ton rêve de tout à l’heure: être heureuse...c’était pas déjà une confidence ?

Silence. Il la contemple.

Je suis à quarante centimètres de toi.
Tu crois que tu ne me dis rien ?
C’est fou ce que j’entends à cette distance. Attends, je change la distance...

Il joue avec la distance qu’il peut y avoir entre elle et lui.

Je ne prendrai aucun raccourci pour t’aimer.
Mes caresses...

Il prend tout son temps en respirant calmement.

Ce sera amour... au bout des doigts... un soir... par hasard...

Silence.

Philippe, tu peux nous mettre un tango s’il te plaît ?
Uno c’est le titre. Tu l’as dans ta régie ?

Il chantonne :

« Quelqu’un cherche rempli d’espoir le chemin que ses rêves lui ont promis. »

(Enrique Santos Disepolo) Il peut devenir notre tango.

Tu veux ?

On entendra ou pas quelques mesures d’un tango.

le coach : Décontenancée. On arrête la séance. Philippe, tu peux allumer la salle s’il te plaît ?

FIN, noir

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