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Les Cahiers de l'Égaré

ecriture

sur Maryse Condé

Rédigé par grossel Publié dans #notes de lecture, #écriture

"Je crois que je me cherchais moi-même. Qui est Maryse Bucolon ?
Je l'ai découvert récemment, sans voyager, simplement en rentrant à l'intérieur de moi-même. Tous ces voyages ont été totalement inutiles pour répondre à la question qui comptait : qui est Maryse Condé ?" MC en fin du documentaire
 
Gauthier CamFea commente "Grande dame dont la vie semble avoir été, au regard de ce documentaire, souvent une succession de désillusions (sociales, raciales, décoloniales, familiales, amoureuses...)" 
 
ma réponse : très bon résumé selon moi de sa vie d'où terrible question
70 livres pour raconter ces-ses désillusions, déssillements, cela vaut-il lecture ?
 
écriture ? oui pour elle et aboutir à ce qu'elle dit en fin de documentaire, tous ces voyages inutiles pour le seul voyage qui vaille la peine, à l'intérieur de soi !
 
lecture ? au choix de chacun car ce que révèle cette oeuvre, c'est le poids aliénant du regard de l'autre, regard intériorisé inconsciemment et faisant obstacle au voyage vers soi même (regard intériorisé de la classe bourgeoise dominante, de la race blanche supérieure, de la puissance coloniale française, de l'idéologie émancipatrice du socialisme à l'africaine, des amants, des maris, des pères...)
Maryse Condé, 7 octobre 2021, Gordes © CLEMENT MAHOUDEAU / AFP

Maryse Condé, 7 octobre 2021, Gordes © CLEMENT MAHOUDEAU / AFP

"grâce à Maryse Condé qui a su les faire exister en tant qu'entité collective à travers des destins singuliers, on sait que les afro-caribéennes sont des femmes imparfaites et en même temps parfaites, qu'elles sont insupportables et en même temps supportables, exténuées et inépuisables, imprévisibles et sachant prévoir le monde.

hommage de Christiane Taubira, en mars 2019, à l'antenne parisienne de Columbia University

Atteinte d'une maladie neurodégénérative, elle avait choisi à 80 ans de se retirer en Provence, où elle a dicté son dernier livre à une amie, «L'Evangile du nouveau monde», sa réécriture du Nouveau Testament, transplanté en Guadeloupe.

Maryse Condé née le 11 février 1934 à Pointe-à-Pitre Guadeloupe - décédée dans la nuit du 1° au 2 avril 2024 à l'hôpital d'Apt

 

Dimanche 2 juin 2019, 15 H - 16 H 30, Mucem, oh les beaux jours, rencontre avec Maryse Condé, Prix de littérature de la Nouvelle Académie 2018. Mon 1° Mucem, un voeu, en compagnie de Sophia JohnsonMoni Grégo (qui fut à l'initiative de la question de théâtre du 14 juillet 2011 sur Maryse Condé et la traduction à la Maison Jean Vilar par les EAT Méditerranée au temps de ma présidence de cette filiale des EAT 2010-2015) et d'autres amis. 
Une rencontre inoubliable avec une femme de 85 ans, atteinte d'une maladie dégénérative, à l'élocution laborieuse, à l'humour ravageur, allant à l'essentiel par économie. Deux beaux moments en particulier, la lecture par son mari (depuis plus de 50 ans; dans un vieux couple, on ne se parle plus, la parole est silencieuse; et traducteur (en anglais) de sa femme), lecture donc de la fin d'Une vie sans fards; et l'hommage de Christiane Taubira, en mars à l'antenne parisienne de Columbia University (voir la vidéo, minutes 18 et +, lien trouvé par Sophia Johnson). J'ai retenu 4 phrases: "grâce à Maryse Condé qui a su les faire exister en tant qu'entité collective à travers des destins singuliers, on sait que les afro-caribéennes sont des femmes imparfaites et en même temps parfaites, qu'elles sont insupportables et en même temps supportables, exténuées et inépuisables, imprévisibles et sachant prévoir le monde."
Dans Le Passage du temps, publié par Les Cahiers de l'Égaré en octobre 2018, Maryse Condé a livré un texte-bilan sur son parcours d'écrivain: Somnambule du soleil, de la lumière à la pénombre. De la lumière à la pénombre, étonnant non ?
J'ai été sensible aussi à la présentation de l'exposition du quai d'Orsay, la représentation du corps noir, visible jusqu'au 21 juillet. Et à celle du mouvement Décolonisons les arts. Pas facile d'être serein sur ce terrain, fort polémique.
Auditorium plein, 300 personnes, ovation, signature (avec un tampon par économie). 
Rencontre inopinée avec Laurent Ghilini qui fut un temps le DRAC de la Guadeloupe après avoir été le directeur du Festival de Martigues puis de la scène nationale de Martigues. Parmi les intervenants, la très engagée Eva Doumbia qui a mis en scène à La Criée, La vie sans fards suivi de Ségou que j'ai vu, spectacle en 3 moments. C'était en mars 2016.
Petit rappel, l'autre Nobel guadeloupéen, Saint-John Perse, est enterré dans la presqu'île de Giens.

 
Maryse Condé, le 1er juin 2000. (Philippe Matsas/Opale)

Maryse Condé, le 1er juin 2000. (Philippe Matsas/Opale)

Remerciement de Maryse Condé pour le prix de la Nouvelle Académie 2018, lu au Mucem, le 2 juin 2019 par Eva Doumbia

« Je ne sais comment vous remercier. Depuis que vous m'avez attribué ce prix, un gigantesque boucan s'est allumé et me réchauffe entièrement. Je ne parle pas de mon cercle familial qui m'a toujours entourée de son affection et soutenue : mon mari Richard, mes trois filles, Sylvie, Aïcha, Leïla, mes petits-enfants, Raky, Sérina, Maryse, Mounir, Youssouf, et mes deux arrière-petits-enfants qui ne perdent rien pour attendre : bientôt deux pages obligatoires de Maryse Condé chaque jour. Je parle de ces inconnus qui ont lu mes livres ou qui m'ont rencontrée lors de quelques colloques et qui m'ont assaillie d'e-mails, de coups de téléphone, de SMS pour me signifier leur bonheur de me voir choisie et récompensée. Je n'avais jamais rien connu de tel. »

« Accrocher ma charrue à la plus haute étoile »

« Me voilà confortée dans la conviction que j'ai bien fait de suivre cette voie, celle de l'écriture, et comme le dit le proverbe arabe d'accrocher ma charrue à la plus haute étoile. J'ai failli ne jamais devenir un écrivain. Quand j'avais 10 ou 12 ans, une amie de ma mère, institutrice comme elle, m'a offert un livre pour mon anniversaire. Comme elle savait que je connaissais tous les Flaubert, Balzac, Guy de Maupassant, Apollinaire, Rimbaud possibles et imaginables, elle tenait à me faire un cadeau original. L'auteur du livre s'appelait Emily Brontë, l'ouvrage : Les Hauts de Hurlevent. C'était la traduction en français de Wuthering Heights. Le soir venu, je me mise au lit avec ce livre. Dès les premières pages, le miracle se produisit : je fus transportée. Malgré moi, je riais ou j'éclatais en sanglots. De même que l'héroïne Cathy s'exclame : Je suis Heathcliff, de même, j'étais sur le point de m'écrier : Je suis Emily Brontë. On s'étonnera qu'une petite Guadeloupéenne puisse s'identifier si parfaitement avec une Anglaise, fille d'un pasteur protestant, vivant sur les landes du Yorkshire. Mais c'est là la force et la magie de la littérature. Elle ne connaît pas les frontières, c'est un territoire de rêves, d'obsessions, de désirs plus ou moins réalisés qui rapproche les êtres à travers le temps et l'espace et les fait communier ensemble. »

« Les gens comme nous n'écrivent pas »

« C'est le même sentiment que je devais éprouver des années plus tard quand je me rendais au Japon. Les Japonais étaient très différents de moi par leur physique, leur éducation et leur mode de vie. Cependant, il suffisait que l'interprète s'installe et commence à lire la traduction de mes textes pour qu'une vibrante solidarité envahisse la pièce. Le lendemain de ce bouleversement, je courus chez l'amie de ma mère pour la remercier de son cadeau et lui décrire l'effet qu'il avait produit en moi. Naïvement j'ajoutai : Un jour, tu verras, moi aussi j'écrirai et mes livres seront aussi beaux, aussi poignants que celui d'Emily Brontë. Elle me regarda avec stupeur et commisération : Qu'est-ce que tu racontes ? Les gens comme nous n'écrivent pas ! Que voulait-elle dire par cette expression les gens comme nous : les femmes ? les Noirs ? Les originaires d'un petit pays sans importance ? Je ne le saurai jamais exactement. Toujours est-il que cette conversation m'anéantit complètement. Par la suite, je ne pus jamais commencer un livre sans croire que je m'engageais dans une voie interdite. Quand je rédigeais mon adaptation, ma cannibalisation des Hauts de Hurlevent que j'intitulais La Migration des Cœurs, j'eus constamment l'impression de commettre un sacrilège. Aujourd'hui, grâce à ce prix, j'ai l'impression bénéfique d'avoir relevé un triple défi. »

« Richard fut mon oxygène constant »

« Maintenant, je voudrais partager symboliquement ce prix avec mon mari Richard, Richard Philcox. Je sais en cette période de libération et de combativité féminines, quand une femme parle de l'homme avec qui elle vit depuisun demi-siècle et se vante d'être bien avec lui, elle fait figure d'attardée ou, comme on dit, de ringarde. J'assume entièrement. J'ai d'excellentes raisons de partager symboliquement ce prix avec Richard. D'abord, il est le traducteur en anglais de la plupart de mes livres. Sans lui, mes ouvrages demeureraient confinés dans l'espace francophone. Ils ne seraient pas connus, lus, étudiés dans des pays comme l'Angleterre, l'Afrique du Sud, les États-Unis, l'Australie, l'Inde par exemple. Ensuite, sur un plan plus personnel, ma longue carrière d'écrivain et de militante a été parcourue de périodes de découragement, de doute, de lassitude. Le plus dur, c'étaient les rentrées littéraires quand les Français partagent les prix entre les maisons d'édition qu'ils estiment importantes. Richard était toujours à côté de moi pour me prendre la main, m'aider à survivre, à vivre tout simplement. C'est pourquoi paraphrasant André Breton parlant d'Aimé Césaire qu'il venait de découvrir à Fort-de-France et disant la parole d'Aimé Césaire belle comme l'oxygène naissant, je dirais : Richard fut mon oxygène constant. «

La voix magique de la Guadeloupe

« Je voudrais enfin dédier mon prix à la Guadeloupe. Ma petite terre natale tellement travestie, humiliée, méconnue, et à tous les Guadeloupéens et Guadeloupéennes qui ont voté si massivement pour moi. Croyez-moi, ne prêtez pas attention aux dépliants touristiques qui promettent des vacances à bon marché dans les îles où on parle le français. Il n'est pas facile d'appartenir à cette partie du monde. On peut même se demander si la Guadeloupe est vraiment un pays. La loi en 1946, dite loi d'assimilation, initiée par le député de la Martinique Aimé Césaire, en a fait un département français d'outre-mer (D.O.M.). Je ne suis pas de celles qui vilipendent Aimé Césaire pour son action politique. La beauté de sa poésie m'oblige à tout lui pardonner. Mais avouons que, sur ce point, il s'est lourdement trompé. À cause de lui, les habitants de la Guadeloupe sont devenus des Domiens. Ainsi, je suis une Domienne. Nous n'avons pas de langue. Le créole est un jargon longtemps interdit dans les écoles et il fallut le courage de certains intellectuels pour qu'enfin soit reconnu un Diplôme d'études créoles. Nous n'avons pas, dit-on, de créativité. Nous sommes soit les descendants des esclaves africains, soit les descendants des engagés indiens, soit les descendants des Français. Personne ne pense que nous ayons pu édifier une culture, une civilisation originale basée sur ces différents apports. Il n'y a pas de travail à la Guadeloupe. Le taux de chômage atteint des chiffres records. La population est obligée de s'expatrier, en France principalement, mais on trouve des Guadeloupéens à travers le monde. Ceux qui restent au pays sont souvent réduits à se droguer ou à voler et cette violence commence de se faire jour à travers les lignes des journaux français. J'appartiens à un groupe qui, horrifié par ces maux, a fondé un parti politique. Nous proposons un changement de statut, l'indépendance. Mais la majorité démotivée, n'ayant plus d'espoir en rien, ne nous suit pas et nous menons, je le crains, un combat d'arrière-garde. Aujourd'hui, la Guadeloupe est pratiquement un zombie. On ne parle d'elle qu'au moment des cyclones, de la Route du rhum et lorsqu'un chanteur populaire décide de se faire enterrer à Saint-Barthélemy, une île voisine. Je suis heureuse, je suis fière, profondément fière, d'être celle qui a fait entendre sa voix, une voix qui, malgré ses malheurs, continue de dire non, une voix qui reste forte, qui reste magique. Je vous remercie. »

Maryse Condé, le 1er juin 2000. (Philippe Matsas/Opale)

Maryse Condé, le 1er juin 2000. (Philippe Matsas/Opale)

Dany Laferrière à Maryse Condé : «Tes livres, malgré tout, sont gorgés de soleil»

Lorsque la romancière guadeloupéenne, morte dans la nuit du 1er au 2 avril 2024, reçut en 2018 le «prix Nobel alternatif» de littérature, l’auteur canadien envoya une lettre émouvante à cette «petite fille submergée par l’émotion qui casse tout sur son passage».

par Dany Lafferrière, écrivain canadien né à Haïti, membre de l'Académie française

publié aujourd'hui 2 avril à 18h00 par Libération
 

A la mi-octobre 2018, alors qu’elle était depuis de nombreuses années pressentie pour le prix Nobel de littérature, Maryse Condé se voit remettre «le nouveau prix de littérature». Cette année-là, en effet, l’Académie suédoise, compromise par un scandale sexuel, n’avait pas décerné sa récompense. Le prix qui compensa cette absence fut donc attribué à la romancière guadeloupéenne car «dans ses œuvres, faisait valoir la Nouvelle Académie, avec un langage précis, Maryse Condé décrit les ravages du colonialisme et le chaos du post-colonialisme». Quand il apprit que son amie recevrait ce prix alternatif, l’auteur canadien Dany Laferrière, né en Haïti, lui adressa cette lettre :

«Chère Maryse,

«Je suis dans un joli hôtel au fin fond de la campagne française. Je vois par la fenêtre les arbres qui tentent de se rapprocher du soleil. Comme ce jour qui finit par faire corps avec toi, ton corps en douleur depuis si longtemps, ce corps qui n’a jamais cessé de fêter la vie. Par tes livres. Je me souviens d’une de tes visites en Haïti, au début des années 70. J’arrivais à Radio Haïti où je travaillais comme jeune journaliste quand on m’a signalé ta présence dans le bureau de Jean Dominique [directeur de la station, ndlr]. Tu n’étais pas encore la romancière célébrée dans le monde entier pour Ségou, cette évocation douce-amère de l’Afrique, mais déjà une intellectuelle redoutable qui pourfendait les mythes. A ce moment-là je me nourrissais de mythes et d’épopées, et j’avais peur de te rencontrer. Ce que je saurai rapidement c’est la grande tendresse, cette nappe phréatique qui irrigue tout ton être et t’empêche souvent de sombrer dans le désespoir. Tes livres, malgré tout, sont gorgés de soleil. De ce soleil qui tire les arbres vers le haut. Tes livres sont faits de ces arbres qui dansent dans l’éternel été de nos vies.

«Je me souviens qu’apprenant que j’étais mal logé à New York tu m’as invité dans cet appartement que l’université de New York avait mis à ta disposition. On a passé trois jours à causer. Je nous revois, toi, ton mari et moi discutant d’Haïti, d’écriture, de cuisine antillaise, de voyages et de traduction. J’étais à l’endroit où je voulais être, avec l’impression que je vivais un moment inoubliable. Je m’attendais à tout moment à voir apparaître Toni Morrison. Mais aussi Richard, cet homme qui partage ta vie depuis si longtemps, à la fois ton mari et ton traducteur, je crois qu’une bonne part de ce prix lui revient. Je le vois rougir et faire ce geste désinvolte de la main, comme pour chasser la mouche de la vanité. Et je sais que tu descends, seule, au fond de la mine. Pour remonter à la surface c’est la main de Richard que tu attrapes. Tu la sais sûre.

«Il y a à peine deux semaines, j’étais à Manosque avec [l’écrivain franco-congolais] Alain Mabanckou pour le festival littéraire et, le sachant par ton médecin, tu as enregistré un mot d’amitié à notre endroit. J’étais abasourdi de te voir dans ce lit d’hôpital en train de sourire tout en articulant péniblement un sentiment si puissant. D’où tires-tu, Maryse, ce lait de tendresse ? Pour tous ceux qui se rappellent d’un éclat de colère, d’un regard sombre et ombrageux ou d’une critique acerbe qui s’allonge dans une diction lente, je me souviens de ce sourire qui fleurit sur des lèvres si sensuelles.

«Voilà que près de trente-cinq ans après Ségou la gloire est revenue. Je sens d’ici ton regard voilé mais où brille tout au fond la fierté d’une petite fille si turbulente qu’on la croyait insolente. C’est l’image que je garde de toi : une petite fille qui casse tout sur son passage parce qu’elle est submergée par une émotion qui l’entraîne vers une mer d’encre.

Dany Laferrière,

Bazas, 12 octobre 2018»

Somnambule du soleil : de la lumière à la pénombre  

(le début-extrait, paru dans Le Passage du temps, Les Cahiers de l'Égaré, octobre 2018)

Maryse Condé

Quand j’étais petite, comme tous les enfants guadeloupéens, je détestais l’ombre, la « noirceur » comme on l’appelle. C’était le périmètre des soukougnans buveurs de sang, de ti-sapotille, de la bête à Man Hibet dont on entendait le cheval à trois pattes galoper en claudiquant. Après avoir tracé une croix sur mon front, ma mère posait sur la commode de ma chambre une grosse lampe à pétrole. Quand je m’éveillais, le regard de cet œil rougeoyant m’apaisait. Puis je me suis voulue « somnambule du soleil » pour reprendre la belle expression de l’écrivaine cubaine Nivaria Tejera. Je ne partageais pas l’opinion du grand poète martiniquais Aimé Césaire qui pensait que la force tellurique de nos volcans nous anime. Je penchais plutôt pour l’auteur haïtien Jacques-Stephen Alexis dont le roman Compère Général Soleil (1955) m’avait séduite. Oui cet astre lumineux m’avait créée. Il gérait ma vie. Il avait la clef du mystère qui me torturait depuis l’enfance : ma créativité qui se manifestait par des périodes d’hyper-sensibilité que je ne parvenais pas à gérer. Avais-je le goût du mensonge, de la supercherie ou étais-je habitée d’une force que je ne contrôlais pas ? C’est un jour de grand éblouissement lumineux que m’est venue la conscience de ma vocation d’écrivain. J’avais toujours été une petite fille la tête pleine d’histoires, de menteries comme disait sévèrement ma mère. J’inventais des amis entièrement imaginaires, des rencontres, des épisodes de fantaisie. Ce jour-là avec trois petites cousines j’étais partie à la recherche d’icaques, ce fruit multicolore adoré des enfants, pratiquement disparu au jour d’aujourd’hui. Nous avions gravi une butte, un morne comme on dit chez nous. Arrivée à sa tête, je me retournai et la splendeur du paysage m’assaillit. A l’horizon la mer, toujours la mer, bleue et couronnée d’écume. A gauche la chevelure bouclée des bananiers montant à l’assaut du volcan. Un peu partout, les cannes à sucre tigeant vers le ciel. Par-dessus tout cela, la calotte bleue du ciel percée de la fenêtre incandescente du soleil. Je me sentis pleine d’une émotion que je n’avais jamais éprouvée auparavant. J’étais dévorée du désir de reproduire avec des mots et les sonorités du langage autant de beauté, perforer l’âme et les sens. Je crois d’ailleurs que le temps qu’il m’a fallu pour me décider à écrire fut causé par ma peur intérieure : comment remplir le gouffre qui existait entre mes aspirations et le réel ?...

livre pluriel sur le passage du temps, projet photographique et littéraire

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quelques livres de Maryse Condé
quelques livres de Maryse Condé
quelques livres de Maryse Condé
quelques livres de Maryse Condé
quelques livres de Maryse Condé
quelques livres de Maryse Condé

quelques livres de Maryse Condé

UN VOYAGE JUSQU’AU BOUT DES ÂMES

préface de Moni Grego à La faute à la vie, pièce de théâtre de Maryse Condé, Lansman

 

Maryse Condé est une personne qui est comme un album de femmes. En elle, la petite fille de quatre ans, l'adolescente, la jeune fille de vingt ans, l'adulte de trente, la grand-mère... Et tous les âges se feuillettent lorsqu'elle vous parle, au coin d'un sourire, d'un fou rire, d'un froncement de sourcils, d'un grand geste de la main. Visage de marbre, de sable, d'enfant, intact. Maryse Condé a le sens du dialogue, elle s'intéresse à vous, à tout, elle vous enjôle avec sa cuisine sucrée salée, elle vous charme avec son écriture foisonnante, libre, éclairée, agissante. Une écriture pleine d'histoires, car il y a certainement plus de chances de toucher à des vérités en écrivant des histoires plutôt qu'en croyant détenir la vérité. Une écriture tourbillonnante de mouvements, de déplacements, de nomadisme des personnages, de courses des paysages, de friselis du temps. Chez elle tout bouge.

 

          Cette impressionnante et familière auteur est aussi une toute jeune auteur de théâtre."LA FAUTE À LA VIE" dévoile deux personnages de femmes complexes, naïves, graves, drôles, diaboliques... que Maryse Condé façonne avec tendresse et humour, avec colère aussi parfois. Théâtre d'une joyeuse cruauté, son écriture joue avec un langage simple, quotidien dont l'écoute fine révèle une tournure tragique, la mort rôde, elle aussi.... Une noire, une blanche, un pays, ses sonorités, ses enchantements, ses misères... Deux femmes ont aimé et ont été aimées par un même homme. Elles sont amies et ce lien va mettre à jour bien des ressemblances et des différences. Comme deux sœurs elles se chamaillent et s'adorent, chacune jouit ou souffre de son rôle qui, pour être donné comme à jamais, n'est pas sans les encombrer quelquefois. Chien et chat, directes et crues dans leurs dires, elle ouvrent le livre de leur vie, où leur fascination pour la beauté, le courage, le charisme de cet homme nous le montre aussi, par endroits, odieux, lâche, fuyant, menteur. Ce trio infernal nous ramène à la vie, à ses injustices, ses violences, mais aussi, sa générosité, ses saveurs, ses heureuses surprises.

 

          Musicale, l'écriture de Maryse Condé nous chante l'amour et le désamour avec un rythme doux et scandé, un air de tango ou de rumba. La construction de la pièce est architecturée comme un labyrinthe où des énigmes vont nous être confiées, choses sues de tout temps et qui s'entendent uniquement lorsqu'enfin les mots sont là pour les dire... Maryse Condé catalyse des bribes de sa vie personnelle mouvementée. Elle filtre par l'alchimie singulière de ses mises en fiction ce qui, de l'expérience intime, devient ouvrage utile, don à l'universel.

 

          Mémoires et désirs, fêlures et jubilations, son phrasé théâtral ravive nos blessures mais aussi notre capacité à les apaiser. Elle crée une parole mélodique, proche et légère qui nous ouvre de miroitants plaisirs d'écoutes et de visions.

 

          L'énigme est dans les mots, dans l'aveu, elle se dénoue réplique après réplique, face à nous. Comme dans les pièces les plus classiques, l'action est dans le verbe.

 

          Quant aux relations des personnages, elles disent notre modernité. Grâces et tourments de la vie en couple, Clown Blanc et Auguste, bourreau et victime, amour/haine, attraction/répulsion... même si ces ingrédients, comme l'usage, de ci de là, de la langue créole, relèvent nos attentes, c'est dans les virages inattendus, comme des trouées de rêves ou de cauchemars que la magie dramaturgique de Maryse Condé nous bouleverse.

         

          Monter ce texte au théâtre sera la rencontre fructueuse d'hommes et de femmes amoureux de cette écriture et de son auteur. Maryse Condé est une femme franche et mystérieuse, une femme double et entière, il faut au moins cela pour nous guider dans ce voyage, ce très beau voyage que nous commençons, jusqu'au bout des âmes.

 

Moni Grégo.

 

Moni Grego Maryse Condé

Moni Grego Maryse Condé

au Mucem, fut évoquée la figure de Jean Léopold Dominique; on comprit qu'il y avait là, une blessure encore vive, 66 ans après, évoquée dans Une vie sans fards, ce qui amena à des correctifs de la part de la fille de Jean Léopold Dominique, journaliste et leader haïtien assassiné le 3 avril 2000.

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Maryse Condé : La vie sans fards, Paris, J.C. Lattès, 2012, 334 p., 19 €.

En plaçant d’entrée ce livre de mémoires sous l’invocation de Jean-Jacques Rousseau et de ses Confessions, Maryse Condé (née en 1937) annonce la couleur. Loin de vouloir dresser pour la postérité une statue à sa gloire, elle livrera aux lecteurs le récit « sans fards » de ses années de jeunesse. Ce livre devrait passionner, au-delà des admirateurs de l’auteure de Ségou (publié en 1984), les Africains, sans parler de tous les Européens ou Antillais qui, comme elle, ont laissé une part d’eux-mêmes sur « le continent ». C’est pourtant en Haïti que ces nouvelles confessions ont fait le plus  de bruit (1) quand il est apparu que le père de Denis, le fils aîné de M. Condé, né en 1956, n’était autre que Jean Dominique (1930-2000), une figure de la résistance contre les Duvalier, coupable d’avoir abandonné Paris et sa jeune maîtresse passionnée lorsqu’il apprit qu’elle était enceinte de ses œuvres. Mais ceci n’est que le premier épisode des frasques sentimentales de la future écrivaine, mariée en 1958 avec le comédien guinéen Mamadou Condé, le père de deux de ses filles, Sylvie-Anne et Leïla, entre lesquelles s’intercale une autre fille, Aïcha, née d’une nouvelle aventure passionnée de M. Condé pour un Haïtien, Jacques V., enfant naturel de François Duvalier (2). On peut difficilement imaginer vie plus romanesque que celle-ci, d’autant que notre héroïne, après avoir quitté sa Guadeloupe natale à 16 ans pour préparer au lycée Fénelon le concours de l’École normale (Sèvres) se détourna rapidement de ce projet. Mère de famille sans ressource, elle eut à peine le temps de confier son fils à l’assistance publique avant qu’un début de tuberculose ne se déclare. Envoyée dans un sanatorium à Vence, c’est là où elle acheva de préparer sa licence de lettres modernes. De retour à Paris, elle tâta de quelques petits boulots, rencontra Condé, l’épousa, se sépara de lui bien qu’à nouveau enceinte, et, après avoir récupéré son fils déjà né, embarqua, enceinte, pour la Côte-d’Ivoire et le collège de Bingerville où elle devait enseigner le français. M. Condé avait d’abord découvert l’Afrique en même temps que son africanité à travers Césaire et les poètes de la négritude. Ce fait n’est certainement pas étranger à sa volonté de s’implanter en Afrique en dépit de toutes les vicissitudes. En dehors quelques interruptions, elle y restera de 1959 à 1973, avec de rares interludes en Europe, ballotée d’un pays à l’autre (Côte-d’Ivoire, Paris, Guinée, Ghana,  Londres, Sénégal), toujours accompagnée de ses quatre enfants, dans des conditions matérielles et psychologiques le plus souvent difficiles, enseignante le plus souvent, parfois journaliste à la radio, ignorant pendant longtemps sa véritable vocation. Quand ces mémoires s’interrompent, l’auteure est en train d’achever son premier livre, Heremakhonon, largement inspiré de sa vie en Guinée (3), qui sera publié en 1976 dans la collection 10/18 par Stanislas Adotevi. M. Condé aura alors quarante-deux ans.

Ces mémoires sont un témoignage de première main sur la Guinée socialiste de Sékou Touré, avec ses pénuries incessantes et son dévoiement progressif en une société à deux vitesses, mais aussi les conversations passionnées entre intellectuels révolutionnaires. M. Condé parfaisait son éducation politique avec des leaders africains comme Mario de Andrade ou Hamilcar Cabral qui fréquentaient un couple d’amis pendant leurs séjours à Conakri ! Le tableau du Ghana également socialiste de Kwame Nkruma montre les Africains-américains qui tiennent le haut du pavé tandis que les grands seigneurs féodaux s’efforcent comme ils peuvent de retenir leurs privilèges ancestraux. M. Condé ne livre pas précisément dans ce livre son opinion sur le socialisme africain mais l’on peut penser qu’elle adhère au discours du romancier guyanais Jan Carey, qu’elle cite, selon lequel l’Afrique ne fonctionnant que sur des différences et des inégalités acceptées, ne peut qu’être réfractaire au socialisme, puisque ce dernier vise l’abolition des privilèges et l’avènement d’une société sans classe (cf. p. 268). 

M. Condé s’explique dans ce livre sur son rapport à Césaire et à Fanon. Le contact prolongé avec l’Afrique ne pouvait laisser indemne la mythologie de la Négritude (4) portée par le poète martiniquais. Quant à Fanon, elle avait commencé par détester Peau noire, Masques blancs au point de se fendre d’une lettre très critique lorsque la revue Esprit en avait publié des « bonnes feuilles ». Cela se passait quand elle était encore lycéenne, mais la lecture des Damnés de la terre, en 1961, alors qu’elle vivait en Afrique depuis déjà deux ans, fit d’elle, de son propre aveu, une « fanonienne convaincue ». Fanon, mort si tôt, avait pourtant déjà lucidement analysé, en effet, par quel processus « les auteurs de la révolution [africaine] en devi[nr]ent peu à peu les fossoyeurs » (p. 128). 

La qualité principale de ce livre, et ce qui le rapproche effectivement des Confessions de Rousseau, c’est sa simplicité et sa sincérité. Les noms de littérateurs célèbres comme Cheik Hamidou Kane, Mariama Bâ, Roger Dorsinville, Guy Tirolien, Daniel Maximin, etc., de cinéastes comme Sambène Ousmane, ou encore de grandes figures politiques comme Julius Nyerere, Che Guevara ou Malcolm X. traversent ce récit sans la moindre apparence de snobisme : simplement, l’auteure nous fait savoir qu’elle s’est trouvée aux bons moments aux bons endroits. Quant à la sincérité,  M. Condé ne se juge pas elle-même mais laisse le soin à d’autres de la juger, sans fausse humilité ni complaisance. Exemple : « Tu sais bien que tu ne seras jamais acceptée par les Africains […] Tu veux rester en Afrique ? Restes-y ! Avec l’intelligence que tu as, tu ne fais que des conneries » (p. 157). Qu’est-ce donc alors que M. Condé a cherché pendant toutes ses années en Afrique ? Une dramaturge ghanéenne se charge de lui donner la réponse : « Une terre faire-valoir qui te permettrait d’être celle que tu rêves d’être. Et sur ce plan, personne ne peut t’aider » (p. 271). 

Case-Pilote, 10 mars 2014, Michel Herland

 

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Rimbaud : Il faut être absolument moderne ! (ou pas ! Pessoa)

Rédigé par J.C.Grosse Publié dans #poésie, #JCG, #album, #lecture, #notes de lecture, #philosophie, #pour toujours, #spectacles, #voyages, #écriture, #théâtre

Arthur Rimbaud vu par Ernest-Pignon-Ernest / Yves Broussard, poète et directeur de la revue SUD avec JCG en novembre 1994, ici à Sana'a / La dernière oeuvre de Rothko avant son suicide, le 25 février 1970. « Selon Rothko, l’artiste a pour mission de réparer le monde » Sans titre, 1970.
Arthur Rimbaud vu par Ernest-Pignon-Ernest / Yves Broussard, poète et directeur de la revue SUD avec JCG en novembre 1994, ici à Sana'a / La dernière oeuvre de Rothko avant son suicide, le 25 février 1970. « Selon Rothko, l’artiste a pour mission de réparer le monde » Sans titre, 1970.
Arthur Rimbaud vu par Ernest-Pignon-Ernest / Yves Broussard, poète et directeur de la revue SUD avec JCG en novembre 1994, ici à Sana'a / La dernière oeuvre de Rothko avant son suicide, le 25 février 1970. « Selon Rothko, l’artiste a pour mission de réparer le monde » Sans titre, 1970.

Arthur Rimbaud vu par Ernest-Pignon-Ernest / Yves Broussard, poète et directeur de la revue SUD avec JCG en novembre 1994, ici à Sana'a / La dernière oeuvre de Rothko avant son suicide, le 25 février 1970. « Selon Rothko, l’artiste a pour mission de réparer le monde » Sans titre, 1970.

                            DEBOUT, LES DAMNÉS DE LA TERRE

 " ... Damnés, si je me vengeais!
Il faut être absolument moderne.
..."

tel est le court adieu - Cours à Dieu ! - adressé par Rimbaud aux damnés dont je suis, à la fin de la Saison en Enfer.
Que je lis : la modernité doit être une vengeance.
Si je pose: la modernité, c'est la virtualité devenant actualité - aujourd'hui nommée Virtual/Reality, VR - j'obtiens: la modernité - la nouveauté/le  nouveau toujours renouvelé - n'est moderne que si elle est une vengeance.
Vengeance personnelle d'un : Rimbaud - Poète, Voyant.
Injonction, souhait à usage individuel en présence des témoins, les damnés, pris à témoin.
Car il est seul, celui qui avait "cru acquérir des pouvoirs surnaturels."
Et damnés, ceux qui n'y ont jamais cru, qui n'y croient toujours pas, qui n'y  croiront jamais.
"Eh bien! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs!
Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée!
Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis  rendu au sol avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre!"

Pouvoirs surnaturels du mage et de l'ange, par delà le bien, et le mal ?
Mensonge, pour lequel il demandera pardon.
Redevenant paysan. (Ô réalité!  la terre est basse!)
Donc, se venger du mensonge - de la tromperie ("Suis-je trompé ?").
Comment ? En les redoublant. En persévérant. "Tenir le pas gagné"
La vérité ?
Je n'ai pas de pouvoirs surnaturels.
Je n'ai pas "créé toutes les  fêtes, tous les triomphes, tous les drames."
Je n'ai pas "essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues".
Qu'importe !
Je persévère. Je tiens le pas gagné.
"Armé d'une ardente patience... il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps."

Quelques damnés - quelques témoins (pas des poètes!) :
Se moque-t-il ? persévérer ne peut transformer l'échec en réussite.
S'il ne croit plus à son entreprise de Voyant, lui qui a mené "le combat spirituel... aussi brutal que la bataille d'hommes" et dont nous savons si peu de ce combat là, mené par si peu, il ne nous fera pas croire qu'il peut continuer à le mener comme une vengeance : la nouveauté pour la nouveauté/ la modernité pour elle même  sans souci de sa moitié/ son contraire: l'éternité.
(Out ! Baudelaire !)

Visualisez ! (Interruption interactive de Gloseur) :
Pétard mouillé, son slogan!
L'aventure spirituelle d'Arthur se conclut par un échec et une lourde retombée dans la réalité.
Plouf dans la flaque où échoue le bateau ivre ! 
(Gloseur a glousé - facile valise !)

Visual (Retour-zoom sur quelques damnés) :
Ouf ! Nous sommes dispensés de l'aventure spirituelle puisqu'elle finit les pieds sur terre, fait retomber sur pierre, dans l'attente goulue de la goule, "des vers plein les cheveux et les  aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur".

Glouseries :

1 - Nous arrivons ici (avec Il faut être absolument moderne) à une conclusion laïque et "progressiste" de la Saison en Enfer.
(Suzanne Bernard 1960)

2 - Il faut être absolument moderne, ne signifie pas seulement faire le geste d'embrasser le présent, mais celui qui, ce faisant, choisit  précisément ce qui va porter fruit dans un lendemain qui sera meilleur.
(Margaret Davies  1975)

1989-1990-1991.
Mur tombe.
Des balcons idéologiques délacés ouvrent sur
"l'immense opulence inquestionnable!"
Ô miches molles, mille moches vous contemplostâtent !

3 - Cette évidence à la Schopenhauer - un monde plus mauvais étant impensable, ce monde est le pire des mondes possibles - (référence à la lettre d'Arthur du 25 mai 1881 : "Enfin, puissions-nous jouir  de quelques années de vrai repos dans cette vie; et heureusement que cette vie est la seule, et que cela est évident, puisqu'on ne peut s'imaginer une autre vie avec un ennui plus grand que celle-ci!") suffit pour rendre à l'état de "rinçures" tous les appels à l'avenir et aux lendemains meilleurs.
(François  Carassan, 
Rimbaud, le passant immobile1991)

Donc (fil à retrouver)
Quelques damnés : ........., soit.
Mais les proses - sans volonté de faire oeuvre, exceptée la Saison en Enfer - sont là. Les Plainted Plates. En désordre. Sans paternité reconnue par Arthur. Mais enfantées par lui.
Nouvelles fleurs. Nouvelles langues. Génie.
Aussi réelles que le réel, s'y ajoutant, le modifiant. Nées du néant (du virtuel).
S'inscrivant dans le temps humain (s'actualisant dans l'aventure humaine - quelle postérité, Arthur ! à te redresser dans ta tombe !).
Et qu'importe si elles font énigme, si le temps n'est pas encore venu de leur faire dire ce qu'elles disent, "littéralement et dans tous les sens".
D'horribles travailleurs s'y sont attelés. Comme "d'autres horribles travailleurs (ont commencé) par les horizons où l'autre s'est affaissé."
Qui oserait affirmer qu'il n'y a pas eu de grands malades, de grands criminels, de grands maudits, de suprêmes  savants, depuis Rimbaud ?

L'Oeuvre-Poésie est en avant, l'Oeuvre-Vie en est  un moment.
Qu'il arrête de faire feu sur lui qui veut un "Départ dans l'affection et le bruit neufs", celui qui fait d'Arthur : un passant immobile, un désillusionné de la vraie vie !
Il ne lui prête que sa propre impuissance.
Il veut faire croire qu'il fait oeuvre de sapeur en désamorçant les charges creuses :
"changer la vie", "le poète (sera) vraiment un multiplicateur de progrès"
pour les réduire en mots inertes:
"la vie est la farce à mener par tous", "l'art est une sottise".
Le culot d'utiliser une vie dont le destin est de devenir cul-de-jatte pour démontrer que l'espoir, ça lui fait une belle jambe.
"Ici rien de rien" disait A. de Charlestown.
Et le sapeur de service de tirer la leçon universelle:
cela est vrai à présent de partout, d'ici-bas et d'ailleurs, vérité à faire pleurer nuit et jour :
rien qu'ici et rien d'autre, sans nulle échappatoire ni le pouvoir de faire un pas. 
(François Carassan, Rimbaud, le passant immobile, 1991)
Le culot de faire croire qu'on touche à l'essentiel pour faire le vide.  L'essentiel étant : il n'y a que cette vie et sa misère, la triste réalité.
Et pan ! sur les illusions.
Le sapeur Carassanbeur se sert d'une "philo" dualiste (réalité/illusion) pour faire d'Arthur, la figure de l'impasse et dire  ainsi l'impasse qui clôt le cours aporétique de toute existence.

"À une raison", par le damné que je suis:
On peut être Rimbaud d'Abyssinie, haïr "maintenant les élans mystiques et les bizarreries de style" sans que cela disqualifie ce que l'on récuse, sans que  cela aplatisse ce qu'on a érigé.
Il eut fallu le feu.
Non le silence - qui n'en est pas un - (lettres, rapports, mémoires: 235  documents recensés de 1880 à 1891 !)
Peut-être s'est-il affaissé ?
D'autres sont venus depuis.
Je peux aussi préférer - question de goût, de bon goût - l'Arthur de la Saison, des lettres du Voyant et des Coloured Plates au Rimbaud d'Abyssinie dont les lettres m'émeuvent (me mettent hors de moi).
Je ne lui dois aucun culte d'autant que je ne saurais le trouver dans sa vérité, le retrouver dans sa réalité.
Croyant parler de lui, je ne fais que parler de moi sans bien savoir qui je suis.
Car "Je est un autre".
Corollaire : "c'est faux de dire : je pense; on  devrait dire : on me pense. Pardon du jeu de mots".
Comment ne pas savourer aujourd'hui la complexité, l'ambiguïté de ce Je  que jeuh m'attribue ?
Qui peut prétendre y voir clair quand les recherches actuelles sur le cerveau déconcertent nos méthodes d'analyse classiques, tout se passant comme si l'encéphalisation "sculptait" quelques cent milliards de neurones, éliminant par la mort neuronale, les neurones superflus pour dégager une "forme" nous obligeant à renoncer à la conception d'un programme strictement  défini ?
Comment ne pas savourer aujourd'hui la complexité d'une notion née au XIII° siècle, ce "réel" qui s'accouple au "virtuel" jubilatoire.
Wouaf ! Wouaf !
L'avenir - l'à venir - ce n'est qu'un début ! - c'est le Home Reality Engine et les  performances du gant magique - le dataglove.

Z'yeutez !
Japs jouissant dans femmes virtuelles !
Quel con ne rit ?
"Chanaan féminin dans les moiteurs enclos !" s'exclamait déjà le Sonnet du  Trou du Cul.

Pas question de faire de Rimbaud, un prophète.
Plutôt, quels jeux possibles  à partir du double Rimbaud ? de celui que jeuh voit double ? 
1 - Le Poète Maudit qui se révolte contre - contre - contre - qui participe à l'illuminisme social et utopique de la Commune (18 mars - 27 mai 1871, Mur des Fédérés!), qui se débarrasse de la vieillerie poétique et en cinq ans  actualise un chemin possible de Poésie.
2 - L'Horrible Travailleur qui exerce des "métiers idiots", qui fait venir d'Europe des kyrielles de livres techniques, qui voudrait aller à Panama s'il y a des grands travaux en cours, qui déjà en octobre 1875 demande à Ernest Delahaye "en quoi consiste le bachot ès sciences actuel" et qui en mai 1883 rêve d'élever un fils pour "l'armer de l'instruction la plus complète qu'on puisse atteindre à cette époque" et qu'il verrait "devenir un ingénieur  renommé, un homme riche et puissant par la science".
La Poésie a-t-elle momentanément échoué à actualiser les virtualités de la  modernité techno-scientifique ?
La Techno-science réussira-t-elle avec les cyberspaces à devenir une activité  créatrice isomorphe de l'activité artistique ?
Questions agissantes qui demandent aux Poètes de se former aux sciences "dures" et à la high-tech, et aux ingénieurs d'apprendre à sculpter, y  compris et surtout les logiques "molles", à l'image des langues.

On va à la vie sublime, ô beauté, par le Nombre et l'Harmonie.
Foin des alarmes et des baudrillardises !
Poètes et Ingénieurs : même combat.
La guerre du Golfe n'aura pas lieu.

Un damné assis devant son ordi : Jean-Claude GROSSE

Yémen-Aden-Crater-Maison Rimbaud
                                                                              11-18 novembre 1994
(Ce texte est paru dans le N° 112 de la revue SUD en 1995)

Je ne suis plus sûr presque 30 ans après qu'on va à la vie sublime, ô Beauté, par le Nombre et l'Harmonie

une alliance entre poètes et ingénieurs-savants me semblant, vu ce qui s'est développé depuis un siècle, une illusion

les uns cherchant la beauté (y compris de la laideur)

les autres, le pouvoir au travers du savoir

le développement de l'IA semble une menace majeure pour l'humanité

en plus des autres

Jeanne-Claude Grosse, le 2 décembre 2023

 

 

                                                                                                         
rimb009-copie-1.jpg
JCG et Yves Broussard
Cet article a été écrit pour le colloque d'Aden de mi-novembre 1994, organisé à la Maison Rimbaud d'Aden, grâce à l'ambassadeur de France au Yémen à ce moment-là, Marc Laugel, colloque qui accueillit pas mal de personnalités Jean d'Ormesson, Salah Stétié, Alain Borer...
 
rimb001.jpg
la maison Rimbaud-Bardet à Aden
rimbaud1.jpg
vue du toit de la maison Rimbaud
rimb002.jpg
quelques participants au colloque
rimb006.jpg
Alain Borer faisant son exposé; à g., l'ambassadeur, Jean d'ormesson;
à d., 2° rang, Salah Stétié
yemen1.jpg
vue depuis Kawakaban

Je fis partie du voyage comme éditeur possible d'une revue bilingue Crater qui ne vit malheureusement ou heureusement jamais le jour.
La maison Rimbaud est devenue l'hôtel Rambo m'a dit plusieurs années après, un membre de la délégation.


 

 

Rimbaud par Ernest Pignon-Ernest
Rimbaud par Ernest Pignon-Ernest
Rimbaud par Ernest Pignon-Ernest
Rimbaud par Ernest Pignon-Ernest

Rimbaud par Ernest Pignon-Ernest

Rimbaud
Arthur
On t'appela pas Jean !
Né blasphémateur en 1854 à Charleville ouvrant ainsi la voix aux
abominables massacrosités
ardennaises -
Pas étonnant que ton père se soit éclipsé !
Tu entres à l'école à 8 ans
Petit latiniste doué !
En octobre 1869
Rimbaud écrit de la poésie
en grec français -
Fugue en train
pour Paris sans billet,
mais le miraculeux Chef de Train mexicain
l'expulse du rapide pour le Ciel, qu'il
n'emprunte plus puisque
le Ciel est partout -
Les vieilles pédales
interviennent néanmoins -
Rimbaud stupéfait Rimbaud
s'engage dans la Garde Nationale
verte, marche fier
dans la poussière avec ses héros -
Espère se faire sodomiser,
rêvant de la Fille suprême.
On bombarde des villes pendant que
Fixement fixement & pinçant
sa lèvre dégénérée il contemple
de ses yeux gris
La France Fortifiée -
André Gill annonçait
André Gide -
Longues randonnées en lisant des poèmes
dans les Meules de Genet -
Le Voyant est né,
le voyant déréglé tourne son
premier Manifeste,
donne des couleurs aux voyelles
& entoure les consonnes de soins jaloux,
subit l'influence
de vieilles Tapettes françaises
qui l'accusent de constipation
cérébrale & diarrhée
verbale -
Verlaine le fait venir à Paris
avec moins d'aplomb que Rimbaud
ne renverra des filles en
Abyssinie -
« Merde ! » s'écrie Rimbaud
dans le salon Verlaine -
On jase à Paris – L'épouse Verlaine
est jalouse d'un garçon
qui a un trou à son pantalon
L'amour envoie de l'argent de Bruxelles
La Mère Rimbaud déteste
l'importune Madame
Verlaine – À présent ce dégénéré
d'Arthur est soupçonné d'être
poète
Dans le grenier-hurloir
Rimbaud écrit Une saison en Enfer,
sa mère tremble -
Verlaine donne de l'argent & des coups de revolver
à Rimbaud -
Rimbaud va trouver la police
& déclare son innocence
comme la blême innocence
de son divin Jésus féminin
-Pauvre Verlaine, 2 ans
de cabane, mais un couteau aurait pu
lui percer le cœur
-Illumination ! Stuttgart !
Étude des Langues !
À pieds Rimbaud traverse
& admire les cols
alpins arrive en Italie, cherche
des clochettes de trèfles, des lièvres,
des Royaumes de Génies & n'a devant lui
que la vieille
mort du soleil Canaletto
sur des vieilles bâtisses vénitiennes
-Rimbaud apprend la langue
-a vent des Alleghanys,
de Brooklyn, des dernières
Plages américaines -
Meurt son angélique sœur -
Vienne ! Il regarde les pâtisseries
& caresse de vieux toutous ! J'espère !
Ce matou toqué
s'engage dans l'armée néerlandaise
& s'embarque pour Java
commande la flotte
à minuit
à la proue, seul,
personne n'entend ses Ordres
excepté les poissons qui brillent
dans la mer – Août n'est pas
le moment pour moisir à Java -
visant l'Egypte, le voilà de nouveau
planté en Italie il rentre donc
chez lui au profond du fauteuil
mais aussitôt
repart, pour Chypre où il
dirige une carrière -
à quoi ressemblait-il
désormais, ce Rimbaud
Nouvelle Manière ? - Poussière de pierre
& dos noirs & toux
des ouvriers, naît le rêve
d'Afrique en l'esprit
du Français, - Infirmes
des tropiques : on les aime
toujours – La Mer Rouge
en Juin, la côte cliquette
arabique – Harar,
Harar, magique
comptoir – Aden, Aden,
Sud des Bédouins -
Ogadine, Ogadine encore
incognita – Pendant ce temps
Verlaine est assis à Paris
à boire des cognacs et à se demander
à quoi Arthur ressemble
maintenant, si leur sourcil
est morne, eux qui croyaient naguère
à la beauté des sourcils -
Qu'importe ? Qu'est-ce que c'est
que ces Français ?
Rimbaud m'a jeté cette pierre
à la tête !
Rimbaud sérieux rédige
d'érudits & élégants articles
pour des Sociétés
de Géographie, & après guerres
ordonne à la Fille du Harar
(Ha Ha!) de rentrer
en Abyssinie, & elle
était jeune, yeux
noirs, lèvres épaisses, cheveux
bouclés, seins comme
du bois poli avec
des tétons cuivrés, & bracelets
aux bras & elle joignait
les mains au
centre de son bassin & avait
les épaules aussi larges que
celles d'Arthur, & de menues oreilles
-Fille de quelque
caste de Bronzeville -
Rimbaud connaissait également
les Polynésiennes aux hanches étroites
aux longs cheveux tombants
& tétons minuscules & pieds majuscules
Finalement il se lance
dans le trafic illégal de fusils
à Tadjourah
voyages en caravane, furieux,
une ceinture d'or
lui entourant la taille -
Et s'être fait baiser par le Roi Ménélik !
Le Shah du Choa !
Le bruit que font
ces noms
dans ce cerveau français !
Été au Caire,
vent citron amer
& baisers dans le jardin de poussière
où des filles s'accroupissent
à la brune en ne pensant
rien -
Harar ! Harar !
En civière à Zeilah
on le transporte gémissant sur son
anniversaire – le bateau
rentre à Marseille
château crayeux plus triste que
le temps, le rêve,
plus triste que l'eau
-Carcinome, Rimbaud
est rongé par la maladie
de survie – On ampute
sa belle jambe -
Il expire dans ses bras
de Sainte Isabelle
sa sœur
& avant de monter au Ciel
envoie ses francs
à Djami, Djami
le garçon du Harar
son domestique
8 années dans l'Enfer
africain du Français,
& tout cela pour
rien, comme
Dostoïevski, Beethoven
ou Vinci -
Aussi, poètes, rien ne presse
& taisez-vous :
Rien n'a jamais donné
rien.
 
1960
JACK KEROUAC
POÈMES DISPERSÉS
Traduit de l'anglais (États-Unis)
par Philippe Mikriammos
 
tombé dessus, mardi 28 juin 2022 à 9 H 10
sur ce poème de jack K
et sur cette photo du livre de jack K lu en américain
par la russe polyglotte dasha K
photo prise à Bonnieux en août 2011
livre de jack K lu en américain par la russe polyglotte dasha K photo prise à Bonnieux en août 2011 / dasha K au bord du Baïkal en août 2010  / JC et Arthur au Baïkal en août 2010
livre de jack K lu en américain par la russe polyglotte dasha K photo prise à Bonnieux en août 2011 / dasha K au bord du Baïkal en août 2010  / JC et Arthur au Baïkal en août 2010
livre de jack K lu en américain par la russe polyglotte dasha K photo prise à Bonnieux en août 2011 / dasha K au bord du Baïkal en août 2010  / JC et Arthur au Baïkal en août 2010

livre de jack K lu en américain par la russe polyglotte dasha K photo prise à Bonnieux en août 2011 / dasha K au bord du Baïkal en août 2010 / JC et Arthur au Baïkal en août 2010

voir après ce film, étonnant-détonnant-déconnant, l'entretien avec le réalisateur
ou le paradoxe de Rimbaud :
poète cessant d'écrire des poèmes parce que devenu son poème
ce Rimbaud, incarné en 8 jours mais conçu pendant 10 ans, m'a fait rire plusieurs fois
l'icône, le mythe du voyant par dérèglement de tous les sens retombe sur terre à Tadjoura, petite ville de la Mer Rouge
il y rêve d'un présent de bourgeois, riche, marié avec un fils savant ou ingénieur
la vision proposée par ce film me semble à l'opposé de celle que j'ai développée dans Debout les damnés de la Terre, Il faut être absolument moderne, dont je ne suis plus sûr presque 30 ans après qu'elle soit juste, une alliance entre poètes et ingénieurs-savants me semblant vu ce qui s'est développé depuis un siècle, une illusion, les uns cherchant la beauté (y compris de la laideur), les autres, le pouvoir au travers du savoir; le développement de l'IA semble une menace majjeure pour l'humanité, en plus des autres
 
 
 
pendant ce temps Jacques Livchine
(théâtre de l'Unité, 80 ans, né le 23 janvier 1943 au Chambon-sur-Lignon)
qui a répété depuis mai le chemin de Rimbaud devant la maison de Rimbaud à Roche dans les Ardennes
et dans le Doubs
est au Harar pour y célébrer Rimbaud et la Saison en enfer
il a informé 100 médias français, aucun ne s'est déplacé
célébration se fera dans l'indifférence des pantoufles
Le théâtre de l’Unité a décidé de fêter les 150 ans d’une saison en enfer à Harar, en Ethiopie, à l’endroit même où il avait vécu dix ans
ce sera les 2 et 3 décembre 2023 à 16 H 30
En Éthiopie on compte à partir de 6 h, si je dis j’arrive à 9h30, mon interlocuteur Ethiopien note 15h30 et même l’année, là bas on est en 2014, et l’année compte 13 mois. Oh l’angoisse.
la valise de Rimbaud / le décor arrivé à Harrar / 132 ans que ce bousculeur, cet empêcheur, ce dérangeur, hors cadre, hors norme, hors tout, est mort à Marseille à l’âge de 37 ans après une année d’atroces souffrances et sa jambe amputée.  Arthur Rimbaud. 1854/ 10 novembre  1891.   `Ses derniers mots  :  Dites moi  à quelle heure je dois être transporté à bord.  Le théâtre de l’Unité a décidé de fêter les 150 ans d’une saison en enfer à Harar,  en Ethiopie, à l’endroit même où il avait vécu dix ans, ce sera les 2 et 3 décembre 2023 à 16 H 30, vous êtes bien sûr conviés.  Photo de Nadège Vermot : sur les rails de la gare de Voncq, de là  il est parti pour son dernier voyage /
la valise de Rimbaud / le décor arrivé à Harrar / 132 ans que ce bousculeur, cet empêcheur, ce dérangeur, hors cadre, hors norme, hors tout, est mort à Marseille à l’âge de 37 ans après une année d’atroces souffrances et sa jambe amputée.  Arthur Rimbaud. 1854/ 10 novembre  1891.   `Ses derniers mots  :  Dites moi  à quelle heure je dois être transporté à bord.  Le théâtre de l’Unité a décidé de fêter les 150 ans d’une saison en enfer à Harar,  en Ethiopie, à l’endroit même où il avait vécu dix ans, ce sera les 2 et 3 décembre 2023 à 16 H 30, vous êtes bien sûr conviés.  Photo de Nadège Vermot : sur les rails de la gare de Voncq, de là  il est parti pour son dernier voyage /
la valise de Rimbaud / le décor arrivé à Harrar / 132 ans que ce bousculeur, cet empêcheur, ce dérangeur, hors cadre, hors norme, hors tout, est mort à Marseille à l’âge de 37 ans après une année d’atroces souffrances et sa jambe amputée.  Arthur Rimbaud. 1854/ 10 novembre  1891.   `Ses derniers mots  :  Dites moi  à quelle heure je dois être transporté à bord.  Le théâtre de l’Unité a décidé de fêter les 150 ans d’une saison en enfer à Harar,  en Ethiopie, à l’endroit même où il avait vécu dix ans, ce sera les 2 et 3 décembre 2023 à 16 H 30, vous êtes bien sûr conviés.  Photo de Nadège Vermot : sur les rails de la gare de Voncq, de là  il est parti pour son dernier voyage /
la valise de Rimbaud / le décor arrivé à Harrar / 132 ans que ce bousculeur, cet empêcheur, ce dérangeur, hors cadre, hors norme, hors tout, est mort à Marseille à l’âge de 37 ans après une année d’atroces souffrances et sa jambe amputée.  Arthur Rimbaud. 1854/ 10 novembre  1891.   `Ses derniers mots  :  Dites moi  à quelle heure je dois être transporté à bord.  Le théâtre de l’Unité a décidé de fêter les 150 ans d’une saison en enfer à Harar,  en Ethiopie, à l’endroit même où il avait vécu dix ans, ce sera les 2 et 3 décembre 2023 à 16 H 30, vous êtes bien sûr conviés.  Photo de Nadège Vermot : sur les rails de la gare de Voncq, de là  il est parti pour son dernier voyage /

la valise de Rimbaud / le décor arrivé à Harrar / 132 ans que ce bousculeur, cet empêcheur, ce dérangeur, hors cadre, hors norme, hors tout, est mort à Marseille à l’âge de 37 ans après une année d’atroces souffrances et sa jambe amputée. Arthur Rimbaud. 1854/ 10 novembre 1891. `Ses derniers mots : Dites moi à quelle heure je dois être transporté à bord. Le théâtre de l’Unité a décidé de fêter les 150 ans d’une saison en enfer à Harar, en Ethiopie, à l’endroit même où il avait vécu dix ans, ce sera les 2 et 3 décembre 2023 à 16 H 30, vous êtes bien sûr conviés. Photo de Nadège Vermot : sur les rails de la gare de Voncq, de là il est parti pour son dernier voyage /

La plaque posée sur une façade de l’hôpital de la Conception, à Marseille

La plaque posée sur une façade de l’hôpital de la Conception, à Marseille

Jacques Livchine
(80 ans, part à Harar, proférer la saison en enfer)
 
Tout ce qui n’a pas été écrit, n’aura pas été vécu dit Annie Ernaux.
Etrange lubie que d’aller se perdre en Abyssinie pour comprendre Rimbaud.
Il faut imaginer un voyage là -bas en 1880, via le canal de Suez, Aden, la mer rouge, Zeilah puis trois semaines de chameau jusqu’à Harar.
Alors sur l’échelle des souffrances humaines, tout ce que nous vivons là est totalement et infiniment dérisoire.
Nous sommes devenus des naufragés de l’aviation civile, des victimes de Lufthansa.
Après 3 jours nous ne sommes toujours pas arrivés à Harar.
Basel Frankfurt. 27 novembre 2023. Il neigeotte. On nous dit : vol retardé mauvaises conditions atmosphériques.
Sauf que le ET 707 pour Addis Abeba ne nous a pas attendu.
L’aéroport de Frankfurt est vide, on marche 5 kms dans des couloirs désertés avant de trouver un comptoir qui nous dit : trouvez -vous un hôtel et renvoyez -nous la note. Et repassez demain aux heures de bureau.
Mais voilà, c’est la grande Messe ici, tout est plein. Un chauffeur de taxi nous conduit près de la Banhof.
On finit par trouver 3 chambres pour 900 € .
Jacques a évidemment perdu la carte visa de l’Unité et sa tablette etc.
De bon matin le 28, on a pris le RER allemand pour rejoindre l’aéroport, c’était bourré, on s’est assis Hervee et moi, octogénaires dans un compartiment de première à cinq places, tranquillement puisque personne ne s’est levé pour céder sa place aux vieux. Un contrôleur est arrivé cinq secondes après, nous a empêché de sortir, et a réclamé deux amendes à 60 €. Négociations vaines, si on ne paie pas nous remet à la police etc . Quoique d’origine afghane, il est devenu carrément allemand, ++, belle assimilation et nous disant : ici c’est pas la France. En anglais. .
Episode comptoir assistance “rebooking”.
On nous dit d’aller à Milan à moins que nous préférerions le Caire pour attraper un vol pour Addis Ababa à 22 H 55.
Embarquement à 20 H pour Milan, ça fait neuf heures que nous errons entre les boutiques rutilantes de richesses et les immigrés de toutes nations.
Cet aéroport est la vraie folie de l’occident.
Et ce qui n’était pas prévu arrive à 20 H : vol pour Milan “délayed”
Le Frankfurt Milan est tombé en panne de freins au départ, l’équipage a épuisé ses heures il faut le changer et rebelote, deux heures de retard. Et le même scénario que la veille.
L’Ethiopian Airlines 727, est parti sans nous.
A minuit, Milan airport désert : on a retrouvé nos onze valises par hasard sur un tapis roulant, et là en deux taxis on nous a emmené dans l’Ibis à dix kilomètres de l’aéroport. Prise en charge, ouf. Sandwiches.
Sauf qu’il faut assurer la suite.
Le comptoir Ethiopian air lines ne sera ouvert qu’entre 4 et 5 heures du matin apprend -ton.
On délègue le plus jeune Alexandre qui parle italien et le plus vieux qui traîne ses arthroses.
4 heures du matin, hagards.
Suspense insupportable, on est renvoyé à Lufthansa puis à un minuscule comptoir de billetterie.
Une femme potelée, la soixantaine, nous toise derrière l’hygiaphone, l’air de dire : situation complexe et inextricable. Jacques connait tous les codes du voyage par coeur : TNDK ou AZEGIL. ,
Je surveille les coins de sa bouche, une bouche muette ça raconte beaucoup de choses. Elle fronce, elle se tend, serre les dents, soupire, mastique, grimace, se mord la lèvre, se crispe, puis appelle je ne ne sais pas qui.
Alors les scénarios s’enchaînent dans ma tête : 3354 € on rachète les six voyages, ou bien on on en appelle au directeur de la Lufthansa, on lui réclame dommages et interêts.
Et Rimbaud m’attaque par bribes :
A quatre heures du matin l’été
le sommeil d’amour dure encore.
Ça s’arrange, elle nous tend un papier. Il est 5 H. Le bureau des billets ouvre à 7 H 30 .
Non non, pas ce supplice, pas 2 H 30 d’attente. On reviendra plus tard.
Trouver les taxis, remonter la file et bien sûr : impossible, il vous faut prendre un taxi local .
1 °C
Au secours , on appelle l’Ibis.
Pour 10 € dans quinze minutes un dénommé Antonio nous prendra porte 10.
Tout là bas la porte 10.
Opération terminée.
la vraie valise de Rimbaud
à Harar, le 2 décembre 2023
à Harar, le 2 décembre 2023

à Harar, le 2 décembre 2023

Jacques Livchine
(80 ans, part à Harar, proférer la saison en enfer)
 
2 décembre 2023 à 16 H. Porte Asum Beri Harar
J’avais rêvé ça comme une grande première.
Pour la première fois les ruelles d’Harar, les portes d’Harar, les places d’Harar, les remparts d’Harar, les hyènes d’Harar, le quat d’Harar, allaient enfin pouvoir écouter ce que Rimbaud écrivait à leur propos il y a cent cinquante ans sans y être jamais allé.
Marcher là où il avait marché, reprendre la porte Asum Beri, par laquelle il était rentré dans Harar, retrouvé la place de son commerce sur la place Feres Magala,détruit en 1915, et puis se laisser enivrer par un mélange de senteurs incroyable, un climat printanier en décembre, c’est justement en décembre 1880 qu’il fut le quatrième européen à pénétrer dans cette ville de 30 000 habitants à l’époque qui avait déjà ses hyènes et son café et ses épices. Il n’avait que vingt six ans, avait écrit une saison en enfer à 19 ans, il y a exactement 150 ans.
J’avais rêvé que les télévisions du monde entier allaient couvrir l’événement , que RFI, Télérama, France Inter, France Culture, Libération, allaient envoyer leurs correspondants. Or comme Rimbaud le fut, nous sommes magnifiquement ignorés, il l’avait prédit : “moi moi qui me suis cru mage ou ange dispensé de toute morale, je suis rendu au sol avec un devoir à chercher et la réalité rugueuse à étreindre”.
J’avais écrit cent lettres aux médias pour venger la totale indifférence dont Rimbaud avait été la victime lors de la parution à compte d’auteur chez un éditeur belge d’une saison en enfer.
En résumé le 2 décembre 2023 à 16 H, “ recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle et armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes” et nous marcherons jusqu’au Musée Rimbaud, ce sera notre hommage à ce poète, qui aura vécu dix ans à Harar jusqu’à ce que le cancer des os ravage son genou gauche.
“Allons la marche le fardeau le désert l’ennui et la colère.”
le décor de la pièce
à Harar, le 2 décembre 2023
à Harar, le 2 décembre 2023

à Harar, le 2 décembre 2023

un article inespéré !
page FB de Jacques Livchine, 3 décembre 2023
Le Théâtre de l’Unité fête Rimbaud à Harar
Ils ont dit, joué, embrassé « Une saison en enfer » dans un coin des Ardennes, là où Rimbaud avait écrit son poème incendiaire il y a cent cinquante ans. Ils le diront à nouveau ce dimanche et lundi à Harar, en Éthiopie où Arthur espérait revenir.
A quatre-vingt ans, Jacques Livchine ne renonce à aucun de ses rêves. Avec sa vieille acolyte Hervée de Lafond et quelques autres comparses ( Faustine Tourban, Marie-Leila Sekri, Alexandre Santoro et Clément Deyfus) plus jeunes, Livchine pilote le dernier projet en date du Théâtre de l’Unité, compagnie française toujours sur la brèche. Après avoir inventé la 2CV théâtre, le théâtre pour chiens, fait du théâtre sous une grande jupe, créé un spectacle durant 13 jours et autant de nuit à l’occasion du changement de siècle et créé le premier et unique centre d’art et de plaisanterie du monde tout en parcourant ce dernier dans tous les sens, le Théâtre de l'unité a décidé d’honorer Arthur Rimbaud sur les terres de son dernier voyage, le Harar, à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de l’édition originale de Une saison en enfer publiée à Bruxelles en 1873.
« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs , où tous les vins coulaient/ Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux -Et je l’ai trouvée amère -Et je l’ai injuriée. / Je me suis armé contre la justice. / Je me suis enfui. O sorcières, ô misère, ô haine, c‘est à vous que mon trésor a été confié !»
Ainsi commence Une saison en enfer. Après l’avoir rôdé au festival Chalon dans la rue, le Théâtre de l’Unité a lu l’entièreté du texte les 13 et 14 mai dernier à Roche, dans les Ardennes, « à l’endroit exact où Rimbaud à l’âge de 19 ans avant pondu ce texte de rage et de feu » écrit Jacques Livchine. Puis ils sont allés à pied jusqu’à la gare de Voncq d’où Rimbaud était parti, escomptant retourner en Afrique. Il mourra en chemin à Marseille, le 10 novembre 1891, à 37 ans.
Livchine a réuni une petite troupe allant de 24 à 80 ans. Tous sont partis pour l’Éthiopie. Ils diront, joueront Une saison en enfer ce dimanche et lundi à Harar devant le musée qui porte le nom du poète. « C’est le feu qui se relève avec son damné » conclut Une saison enfer. Il y a longtemps que ce feu habite Jacques Livchine. « Rimbaud m’a ouvert les yeux à l’âge de 17 ans, c’est lui qui ne mes fermera » conclut le fringant octogénaire.
Jean Pierre Thibaudat Blog médiapart
Incroyable ce Thibaudat, l'ex critique dramatique de Libération qui nous connait depuis plus de cinquante ans et ne nous oublie jamais. Il avait sorti un papier en 1982 qui nous a fait connaitre et nous a permis d'exister pendant un demi -siècle. Nous lui devons beaucoup. Qu'il soit remercié par les dieux du théâtre.
 
 L’Angle du bac , sculpture de Virginia Tentindo

L’Angle du bac , sculpture de Virginia Tentindo

« Elle émerge des plis de la vague. Mélusine après le cri, elle écoute aux coquillages, à droite le chant de l’oiseau phénix et de la baleine bleue, à gauche les battements de cœur de l’amour.
Devant elle, tenu par la main aux lignes d’air, s’ouvre le livre de la connaissance de ce qui fut et de ce qui sera, tandis que l’autre main, aux lignes de feu, la fait jouir.
Et rugissant sous la vague, drapé de la peau des ondes, veille le lion vert des transmutations philosophales ».
Joël Gayraud, Les tentations de la matière. Poèmes sur des sculptures de Virginia Tentindo. Pierre Mainard, 64 p.
"Quand j’entrai pour la première fois dans l’atelier de Virginia Tentindo, je crus traverser le miroir. Là, dans une pénombre de forêt vierge parcourue d’impalpables bruissements d’ailes, des créatures d’argile, de marbre, de porphyre et de bronze m’attendaient depuis toujours. Elles posaient sur moi ce regard venu de très loin, si pénétrant, mais sans rien d’inquisiteur, qui est le propre des étoiles dans la nuit claire et des enfants au réveil. Je n’aurais su dire d’où elles venaient, ni de l’Égypte pharaonique, ni des Indes ou de la Chine, ni des pays Maya ou Inca, ni des rivages innombrables de l’Océanie. J’avais débarqué sur une île n’apparaissant sur aucune carte. Une île peuplée de formes où je percevais, mêlés dans une sarabande immobile, des chats, des lions, des lièvres, des figures simiesques ou humaines et le visage même de la mort. Elles constituaient un monde unique, qu’on ne pouvait ramener à rien de connu, sauf à en perdre la signification. Malgré la confusion des genres et l’hybridation des espèces et des règnes, les sculptures de Virginia possédaient chacune leur caractère, défini par les noms dont elle les avait pourvues. Bien sûr, elle les avait nommées comme elle les avait créées, au gré de sa rêverie. Je m’avançai parmi elles, en les caressant de la main après les avoir cajolées du regard, éprouvant la douceur sensuelle du porphyre, les courbes tendues du bronze, la peau soyeuse de l’argile. Et de la même grave candeur avec laquelle elles m’avaient regardé, elles se mirent à me parler par-delà leurs lèvres muettes. À chacune de mes visites, je recueillais leurs paroles et c’est ainsi que peu à peu sont nés les poèmes que je leur ai consacrés dans ce petit livre."
de Rimbaud à Pessoa / devant le café Brasileira, à Chiado
de Rimbaud à Pessoa / devant le café Brasileira, à Chiado
de Rimbaud à Pessoa / devant le café Brasileira, à Chiado
de Rimbaud à Pessoa / devant le café Brasileira, à Chiado

de Rimbaud à Pessoa / devant le café Brasileira, à Chiado

Le 29 novembre 1935, jour de son admission à l’hôpital Saint-Louis des Français pour une cirrhose du foie décompensée, Fernando Pessoa (alias Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Alvaro de Campos, Bernardo Soares, et quelques 72 autres compagnons de route) signe un dernier mot "I know not what tomorrow will bring". ll meurt le lendemain, à 47 ans, pauvre et méconnu du grand public, estimé seulement d'un petit cercle d'amis.

Écrit au crayon sur le mur, derrière son lit. Fernando Pessoa, qui portait en lui tous les rêves du monde 

 

Son enterrement à Lisbonne, il est allé au cimetière des Prazeres, plaisirs  Et on l'a installé pour l'éternité dans l'allée nord du couvent de Hyéronimos, à Belém.

statue sur un banc, sur une petite place au bord du Bairo Altodevant le café Brasileira, à Chiado
Rimbaud : Il faut être absolument moderne ! (ou pas ! Pessoa)
Rimbaud : Il faut être absolument moderne ! (ou pas ! Pessoa)
Rimbaud : Il faut être absolument moderne ! (ou pas ! Pessoa)
Rimbaud : Il faut être absolument moderne ! (ou pas ! Pessoa)
"Je ne suis pas pressé. Pressé pour quoi ?
La lune et le soleil ne sont pas pressés : ils sont exacts.
Être pressé, c’est croire que l’on passe devant ses jambes
Ou bien qu’en s’élançant on passe par-dessus son ombre.
Non, je ne suis pas pressé.
Si je tends le bras, j’arrive exactement là où mon bras arrive.
Pas même un centimètre de plus.
Je touche là où je touche, non là où je pense.
Je ne peux m’asseoir que là où je suis.
Et cela fait rire comme toutes les vérités absolument véritables
Mais ce qui fait rire pour de bon
c’est que nous autres nous pensons toujours à autre chose
Et sommes en vadrouille loin d’un corps."
 
Fernando Pessoa
La dernière oeuvre de Rothko avant son suicide, le 25 février 1970. « Selon Rothko, l’artiste a pour mission de réparer le monde » Sans titre, 1970.

La dernière oeuvre de Rothko avant son suicide, le 25 février 1970. « Selon Rothko, l’artiste a pour mission de réparer le monde » Sans titre, 1970.

intérieur aux aubergines, Matisse, Musée de Grenoble
intérieur aux aubergines, Matisse, Musée de Grenoble

intérieur aux aubergines, Matisse, Musée de Grenoble

Rêver à trois aubergines | Écrits /Dominique Fourcade 1974

A la fin du XIXe siècle et surtout à l'orée du XXe se laisse entrevoir le prototype d'un nouveau monde (en même temps que, achevant de se constituer, s’érige et se fige définitivement l'ancien). Tandis que la révolution que les politiques envisageaient et, pour certains d'entre eux, réalisaient, ne pouvait, au mieux, faire (non négligeablement) qu'introduire un peu plus de justice dans l'ancien monde — et dieux merci qu’ils l’aient tenté et le tentent sans cesse, car cet ancien monde, devenu immonde, n’est pas mort ! — tandis que les politiques... quelques hommes, ceux que le vocabulaire ancien désigne (en les isolant monstrueusement) du nom d’artistes, des gens écrivant de la prose ou des vers, des philosophes, des peintres, des musiciens, en un mot des poètes-penseurs, quelques hommes voyaient par-delà le bien et le mal et proclamaient : à l'œuvre ! Tous à l'œuvre, dans l'illimité, pour un monde nouveau dont chacun — et non plus une élite désormais asphyxiée — sera le producteur. Aboli le grand-prêtre. Les producteurs ne célébreront le culte de rien.
Ce nouveau monde, lisons-le encore une fois, de conséquence en conséquence, dans Intérieur aux aubergines.
Puisque c'est de lire qu'il s'agit, il est patent que l'ordre de lecture récitationnel pratiqué jusqu'alors par l'Occident est lui-même bouleversé. Qu'on essaye de parcourir Intérieur aux aubergines de gauche à droite : cela n’est possible que jusqu’au miroir, au-delà duquel Matisse impose un mode de vision nouveau qui consiste à éliminer toute idée d’ordre de lecture. Le spectateur est contraint de reprendre les choses (de reprendre quoi au juste ?)
Intérieur aux aubergines en tout cas, au point où nous en sommes, ne peut plus être considéré comme un « tableau », et c'est bien avant La Danse de 1931-1932 que Matisse traduit la peinture en architecture,le spectateur reprend dès lors les choses à leur point de départ, et le point de départ, nouvelle manifestation de la révolution en cours, est au centre !
Intérieur aux aubergines ne nous conduit plus, comme la peinture avait coutume de le faire, de la périphérie vers le centre, il fait l'inverse ; il nous expose un univers non plus centripète mais centrifuge, en expansion. Et aucun point de cet univers n’est picturalement privilégié par rapport au reste, car le centre est partout. Il s'agit de lire et d’appréhender le tout simultanément, ou rien, et cette caractéristique a plusieurs corollaires :

- la première est que l’on échappe ici au temps chrétien, déchiré entre un passé fautif et un futur rédempteur, entre lesquels le présent, broyé, n'est qu'une étape transitoire et dérisoire — dans Intérieur aux aubergines il est midi, pas d’ombre, faire face !
- La deuxième est que l'on échappe à l'ordre occidental du récit : la peinture de Matisse ne raconte rien, nul événement, ni un bonheur ni une misère, n’illustre rien ; elle dévoile et expose une structure permanente, une partie de l’univers (celle- là ou une autre, toutes sont exemplaires), elle dit l’espace cosmique dont nous sommes l’un des constituants ; les mots « pendant », « avant », « après » n’ont ici plus de sens, ils sont remplacés par les mots « toujours, dès que l’on peut ouvrir les yeux, voici ».
- Troisième corollaire, Intérieur aux aubergines (et la peinture de Matisse en général) ne combat rien, pas plus qu’il n’approuve quoi que ce soit ; son propos est ailleurs. On échappe ici à l’antagonisme du bien et du mal, à une vision prise dans la tenaille du jugement moral de même que Intérieur aux aubergines excluait qu’aucune préférence esthétique fût accordée à une partie du tableau au détriment du reste.
- Quatrième corollaire, et non la moins importante, une nouvelle souplesse syntaxique : les différents éléments de la langue du tableau ne s’enchaînent plus dans l’ancien ordre causal où chacun jouait étroitement le rôle qui lui était dévolu de sujet, de verbe, de complément d’objet direct, de conjonction, de pronom relatif, etc., avec une proposition principale et des circonstancielles ; les éléments sont désormais juxtaposés, toutes les propositions sont sur le même plan, les composantes jouent toutes tous les rôles à la fois et sont les unes vis-à- vis des autres non plus dans une situation de cause à effet mais en rapport mutuel, dans un état de corrélation et de correspondance infinies.Matisse est l’un des premiers à ne plus dire : je vais vous conduire au temple, à Dieu. Il ne dit pas non plus, à la différence des politiques (et c’est un malheur pour tous, cette erreur, cette errance, ce retard fatal des politiques, même et surtout les plus avancés)

Matisse ne dit pas non plus : Dieu est mort. Il dit : les dieux sont partout et d’abord en nous. C’est nous. A nous ! Avec pour effet la pulvérisation de toute théologie.

Tout cesse alors d’être pensé en termes de but à atteindre, en termes de fin et de moyens, on est hors de portée du péché originel et du même coup prend fin le monde de la dialectique, cesse la fuite en avant.
Cette grande phrase révolutionnaire qui fait son chemin ici sans brutalité et chez d’autres à coups de poings, ce monde nouveau, Matisse ne fut pas seul à le promouvoir. Il ne vient certes qu’après Cézanne et Monet, ces haleurs prodigieux du monde à naître.  Avec lui œuvrèrent mais terriblement plus volontaires, moins fluides, les Cubistes, quelques années durant, avant d’être repris par les anciens modes temporels, les exigences propres au récit et à la démonstration, avant d'être happés à nouveau par le monde chrétien. Parallèlement à Matisse la peinture de Bonnard écartait elle aussi, mais sans mot dire et avec grande tendresse, la rhétorique ancienne. A cela tendit également l’effort lucide de Mondrian. Il demeure mystérieux que des peintres — des musiciens aussi — aient pu si nombreux s’atteler à la tâche de dire le monde nouveau, élaborant simultanément la grammaire inédite indispensable, et continuer de chanter alors que tant d'écrivains, à l’heure de s’extraire de l'ancien monde et de prononcer leur vision, en ont été réduits aux cris, à l'invective, perdant toute sérénité. Qu'est-ce qui, au moment d'aborder l'illimité, énerva et affola Rimbaud à ce point ? Qu’est-ce qui rendit Lautréamont parodique et Nietzsche fou de douleur ?  Alors qu'il dotait le concept d'œuvre de nouvelles structures, qu'est-ce qui réduisit le doux Mallarmé à procéder par saccades et le contraignit à l'inachevé cependant que, de Baudelaire, tout entier pris, lui, dans la gangue chrétienne, s’élevait continûment le chant, qualité supérieure du poète ? Seul Hölderlin, sur qui prit appui Rilke...  Au seul Hölderlin, frappé par Apollon des décennies avant Cézanne, il fut donné, à l'égal de Cézanne, de se maintenir mélodiquement de l'autre côté des choses. Lui, le premier, opéra le déplacement fondamental : hors de la trajectoire de la dialectique. Lui le premier juxtaposa tous les éléments du métier, mots et dieux. Et chanta. Oui, Hölderlin et Cézanne, fondateurs de la lyrique moderne, mais ceci est une autre histoire.
Matisse, lui, en 1911, après Intérieur aux aubergines, n'en a pas fini avec la tâche qui lui incombe. Il lui faudra encore cinq ou six années pour pousser à l'extrême sa synthèse, et il lui restera dès lors (c'est à quoi il s’emploiera jusqu'à la fin de sa vie) à y introduire une vibration en l’inondant de lumière, en ne travaillant plus qu'avec la « couleur-lumière ». Mais en 1911 décisivement, Matisse expose un présent imaginé et non plus déduit.
Dominique Fourcade, revue Critique, mai 1974.

Ce texte me semble inciter à relire et à remettre en question cette injonction "Il faut être absolument moderne"

 

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Grotte Chauvet - 18/12/1994 - 17/10/2009 - 30/4/2010

Rédigé par grossel Publié dans #poésie, #JCG, #album, #cahiers de l'égaré, #philosophie, #pour toujours, #écriture, #voyages

la main positive de l'aurignacien de la grotte Chauvet; la Vénus de la grotte Chauvet, tout au fond de la salle du fond à 700 m de l'ouverture de la grotte
la main positive de l'aurignacien de la grotte Chauvet; la Vénus de la grotte Chauvet, tout au fond de la salle du fond à 700 m de l'ouverture de la grotte
la main positive de l'aurignacien de la grotte Chauvet; la Vénus de la grotte Chauvet, tout au fond de la salle du fond à 700 m de l'ouverture de la grotte
la main positive de l'aurignacien de la grotte Chauvet; la Vénus de la grotte Chauvet, tout au fond de la salle du fond à 700 m de l'ouverture de la grotte

la main positive de l'aurignacien de la grotte Chauvet; la Vénus de la grotte Chauvet, tout au fond de la salle du fond à 700 m de l'ouverture de la grotte



       1.000 mots
pour
 l’art pariétal des origines

 ( – impossible chance inouïe de ravissement,
visuel, auditif, spéculatif …
                                                    sans convoitise ni possession – )    

Testament

(à conserver dans la grotte Chauvet,
porte blindée, surveillance vidéo,
code d’accès aléatoire,
accessible seulement à
un Anaximandre de l’Infini – comme branle
un artiste du Sublime – élévation par resplendissement
un Héraclite des contraires – Voyant – dans le noir
un Peintre animalier, au trait sûr, le soir)     

à ouvrir le 18 décembre 34.994



Je vous demande Pardon hominiens de demain
s’il ne reste rien de l’homo sapiens,
espèce ayant joué avec le feu, l’air, l’eau, la terre,
ne voulant pas se savoir mortelle.  
Je vous demande Pardon
pour avoir oublié les générations futures,
50 ans devant moi, 1.000 ans après moi,
33.000 ans après la découverte,
le 18 décembre 1994,
des dessins de la grotte toxique, 
enjeux de procès intéressés.   
Nous vivions,
nous croyant maîtres et possesseurs de la Nature,
civilisés supérieurs
aux minéraux, végétaux, animaux,
primitifs, sauvages, barbares.
Je vivais, esclave volontaire, au jour le jour.
 
Pas vues
les évidences
– à crever les yeux –
de la grotte du Vallon Pont d’Arc :  

toute origine renvoie à l’origine d’avant, ainsi de suite
on ne connaît donc l’origine de rien
tout horizon appelle l’horizon d’après, ainsi de suite
aucun horizon ne peut donc être atteint 
chemins, ne mènent nulle part – funambule de ton fil –
traces, se perdent – impermanence de somnambule –  
cairns édifiés, ne promettent aucun retour.


Les premiers peintres,
anonymes,
inventent,
gratuitement,
entre raclures d’hommes et griffures d’ours,


sans souci de notoriété, de postérité,
perspective, mouvement, équilibre, composition réaliste.



Sur la paroi,
lionnes, rhinocéros, mégacéros, aurochs,
bisons, chevaux, mammouths, ours,
rouges, noirs, détourés, estompés, gravés.


Bestiaire  
conçu (?) par un cerveau d’artiste,
réalisé (?) par une main d’artiste,
relations d’incertitudes entre intention, matière et temps.
Le primitivisme des premiers dessins n’enlève rien à leur beauté
fait leur intemporelle modernité

– de la main d’un aurignacien d’1mètre 80, au petit doigt levé,
pour la paléontologue – 

aurignacien insaisissable
échappant à toute restitution
apparence n’est pas présence
dans ces dessins – des ancêtres problématiques
– de la main d’un aurignacien hors normes,
qui s’est reconnu poète,
ajoutant à la Nature – dont il fait partie –
ce qui, avant lui, n’existait pas,
 même dans sa tête,
créateur de lui-même,
par déprise progressive
de maîtrise/ bêtise,
par estime de soi,
non par contentement de soi,
ne laissant pas à autrui la responsabilité de son être,
malgré l’horizon de la mort,
pour le sage tragique – 
Sur la paroi de la caverne
l’artiste est une main, son habileté,
reliée à un esprit, son imagination,
un cœur, ses sentiments.
 Son œuvre sur la paroi,
insistant désir illusoire d’éternité,  
 ombre rêvée de 33.000 ans,
retrouvée  –  par hasard  – 
depuis 15 ans.
 
Pour quels usages ?    


Pourquoy prenons-nous titre d’estre, de cet instant qui n’est qu’une eloise dans le cours infini d’une nuict eternelle et une interruption si briefve de nostre perpetuelle et naturelle condition ?
  Montaigne,Essais II,12     

                                                                                                                
Nouveaux univers, nouvelles espèces,
vous n’accèderez pas à d’autres évidences :

il n’y a aucune échappée possible à la mort
– mais la Nature invente, crée –
– et l’Homme, sa créature poétique, peut inventer,
se dépasser,
créer des univers de – beauté
chercher jusqu’à la fin la – vérité   


– évidences sans certitudes de ce moment solitaire
d’écriture en compagnie
– essai de pensée se soutenant du vide


Panneau
pour paysage tableau
 


De ce belvédère
e             r
r             i
è            a
d’           d’
é            é
v            v
l             l
e            e
b             b
de Tourre / de Serre
à l’écart du chemin – trop fréquenté –
regarde, écoute, touche, hume, goûte, imagine, pense…
Contemple ce présent qui
sans toi, s’absente
avec toi, peut prendre sens.
Le cirque d’Estre te raconte des – histoires –
 
– rencontres de plaques tectoniques
surrections subsidences assèchements  inondations
incendies glaciations réchauffements éruptions érosions –
de quoi activer tes peurs. 
Il te raconte aussi périodes calmes,
mouvements lents, variations imperceptibles.
Travaille et repose sur cette terre provisoirement apaisée. 
Les – catastrophes – remodelages de paysages
n’ont jamais lieu en même temps, au même endroit :
elles se distribuent
au hasard
te rappellent que
– la Terre est dynamique, dynamite.
Croire immuable ce méandre mort du Pont d’Arc
est erreur d’échelle.  
Tu observes à l’échelle de ton présent
en présence d’échelles impraticables.
    Tu ne peux par la pensée accéder à                                                                                    
 – la Nature – 
englobant infini, éternel des choses finies, mortelles
ensemble ouvert de mondes clos
engendrement chaotique de mondes structurés
cause aveugle de toute génération

soutenant ton courage de créer comme si ce n’était pas pour rien.    


Panneau
pour instants suspendus


À l’échelle du temps rétréci
– celui de tes projets –
tu paries sur un court avenir
que tu ne peux te garantir
malgré toutes tes assurances. 
La Nature est Temps et Chance,
bandeau sur les yeux,
patience créatrice aveugle.
  
La vallée de la Drobie est
œuvre de vie de la Nature. 

Le sentier des Lauzes,

hier de nécessité,
aujourd’hui de randonnée,

chemin de pluralité consentie,  
œuvre d’accompagnement des hommes
– créatures et créateurs 
œuvre de leur courage
– ce qui va au-delà de nous –
car l’horizon de tout – pas du Tout – est la mort  
mais en l’attendant, c’est ton moment de vie,
celui de cette abeille,
celui de ce châtaignier.  
Mesure la maîtrise des hommes d’autrefois
qui ont façonné ce territoire,
étagé cette colline avec des faïsses,
quadrillé cette clairière avec des clapas,
relié parcelles et hameaux par drailles caladées. 


Médite la déprise, le dépeuplement, durables,
à la survenue d’une maladie du châtaignier,
au déclenchement d’une guerre.  
Résiste aux usages massifs et marchands
du territoire, de l’histoire.

Décide, avec quelques amis, d’autres usages
– partagés – de Terre Mer !   

humanimalitéselduvernisalinité

Éros jaillit Thanatos déchire
amour enlacement séparation mort
au miroir de Narcisse absence de mirage du réel
toi joué
aux dés désespérés des mots
 jouant du long balancier sur un fil
 énergie expansion dilution matière
vide répulsion gravitation vie 

renaissants univers
par bootstrap ?

 
Jean-Claude Grosse
du 17 octobre au 18 décembre 2009
un des 33 auteurs à 1.000 mots
pour les 33.000 ans de la Grotte Chauvet,
initiative portée par Roger Lombardot
et Théâtre d'aujourd'hui,
à Laurac en Vivarais
avec le soutien des institutions
et collectivités territoriales.
Textes parus dans le N° hors-série de la Revue des Deux-Mondes
consacré à la grotte Chauvet, novembre 2011
 

 
bestiaire de la grotte Chauvet; ombre d'une signature de main positive, 36000 ans après, aujourd'hui
bestiaire de la grotte Chauvet; ombre d'une signature de main positive, 36000 ans après, aujourd'hui
bestiaire de la grotte Chauvet; ombre d'une signature de main positive, 36000 ans après, aujourd'hui
bestiaire de la grotte Chauvet; ombre d'une signature de main positive, 36000 ans après, aujourd'hui
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bestiaire de la grotte Chauvet; ombre d'une signature de main positive, 36000 ans après, aujourd'hui
bestiaire de la grotte Chauvet; ombre d'une signature de main positive, 36000 ans après, aujourd'hui
bestiaire de la grotte Chauvet; ombre d'une signature de main positive, 36000 ans après, aujourd'hui

bestiaire de la grotte Chauvet; ombre d'une signature de main positive, 36000 ans après, aujourd'hui

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Sur les plus anciennes traces connues de l'Homme l'homo sapiens sapiens
De la grotte de Lascaux à la grotte du Vallon Pont d'Arc

Dimanche 29 janvier 2017
visite de Lascaux 4,
premier groupe, celui de 9 H 30, ­1° dehors.

Le bâtiment en béton et verre, près de 11000 m2, est très fonctionnel. Les surplombs évoquent les abris, plus "confortables" que les grottes, qu'il suffisait de couvrir de peaux de rennes pour obtenir des abris "sains", non enfumés, aérés, moins humides... La reconstitution de la grotte est remarquable, 13°, éclairages évoquant les chandelles. Le discours de la guide est évidemment formaté, un mixte de remarques scientifiques et de considérations journalistiques au goût du jour comme s'il fallait absolument nous rapprocher de ces homo sapiens sapiens, nous dit­on mais si c'est vrai génétiquement, ce n'est qu'une vague parenté car nous échappe tout l'aspect culturel de ces sociétés nomades, petites en nombre. Apparemment, pas d'hommes pour orner ces grottes mais des adolescents, peut­être des femmes. Toujours est­il que même un groupe de 25, c'est déjà trop pour faire l'expérience sensible, immédiate des oeuvres réalisées, sans le filtre du discours guidesque. L'atelier à la sortie de la grotte dit atelier de Lascaux est remarquable car permettant de "voir" des détails, impossibles à visualiser dans la grotte. Le théâtre de l'art pariétal (en 3D), sans comédiens en chair et en os est triste à pleurer. Le cinéma 3D est peu convaincant, le diseur quasi­inaudible pour un speech, un pitch pauvre. L'atelier de l'imaginaire est une plaisanterie aléatoire de choix d'oeuvres modernes et contemporaines en "lien" avec l'art pariétal. La salle d'exposition temporaire ne m'a pas convaincu. Dans l'espace marchand, on trouve du whisky Lascaw, distillé dans la distillerie du Périgord. J'ai trouvé Le temps sacré des cavernes de Gwenn Rigal, chez Corti, novembre 2016, les hypothèses de la science.

Vendredi 30 avril 2010
une visite exceptionnelle dans la Grotte Chauvet

Arrivés à 9 H, vendredi 30 avril 2010, sur le parking du Pont d’Arc, les 5 visiteurs du jour, dont je suis, sont accueillis par la conservatrice de la grotte. Elle nous présente le protocole à respecter pendant la visite, et nos deux accompagnateurs.

Après une montée de 20 minutes pour un dénivelé de 100 mètres, nous nous retrouvons sur le site à 200 mètres d’altitude, surplombés par une falaise de plusieurs dizaines de mètres. Des filets au­dessus de nos têtes ont été placés pour d’éventuelles chutes de pierres. Nous enfilons nos combinaisons et baudriers de sécurité, allumons les lampes de nos casques tout neufs. Code : la porte blindée s’ouvre. Nous pénétrons dans un boyau, la chatière, où nous chaussons des sabots caoutchoutés, puis sur les fesses nous nous faisons glisser jusqu’à l’échelle perpendiculaire de 8 mètres que chacun descend, assuré par une corde. Nous nous retrouvons sur une plateforme : la visite peut commencer.

Nous sommes donc arrivés dans la grotte par le plafond. Il est 10 heures. Nous baignons dans une atmosphère à base de radon et de gaz carbonique. Un compteur mesure le radon. La concentration en CO2 est élevée, ce qui oblige chaque année à fermer la grotte de mai à janvier, les chercheurs ne pouvant passer plus de 120 heures par an dans la grotte, les visiteurs n’y passant pas plus de 2 heures. Nous, nous y passerons 2 heures et quart.

La grotte a été découverte le 18 décembre 1994. Des visites limitées ont lieu depuis 2005 seulement, des aménagements importants ayant été effectués pour préserver au maximum la totalité de la grotte, sols en l’état, parois, plafonds. 350 visiteurs par équipes de 5 en 2007, 8 en 2008, 250 en 2009, 200 en 2010.

Les chances de cette grotte unique :
- l’effondrement de la falaise qui, il y a 20000 ans, a 
bouché l’entrée de la grotte fréquentée à partir de 36000 ans

- le radon qui a protégé les œuvres des champignons, des lichens et nous laisse aujourd’hui en présence d’un site remarquablement conservé. Je n’en veux pour preuves que les fins éclats d’argile collés sur certains dessins suite aux ébrouements des ours, les restes des foyers, les réserves de charbon de bois des artistes. On passe à 20 centimètres de restes de torches qu’on a frottées, mouchées contre la paroi

- troisième chance de cette grotte : le professionnalisme des découvreurs (on doit dire juridiquement, les inventeurs) qui dès la seconde visite avec des lampes plus puissantes posent au sol des lais utilisés en agriculture, limitent leurs déplacements, ne s’étalent pas dans la grotte, rendus imprudents par l’enthousiasme, au contraire. Les passerelles, installées depuis, l’ont été sur les zones couvertes par les inventeurs, ce qui a laissé la plus grande superficie des 7 salles, vierge de tout pas. Le protocole insiste sur la nécessité de ne pas perdre l’équilibre, de se baisser suffisamment pour ne pas toucher plafonds de couloir, parois qu’on frôle à dix ou vingt centimètres.

De l’entrée à la dernière salle, il y a 350 mètres. Les salles n’étant pas en enfilade, on rebrousse chemin certaines fois pour s’aventurer plus loin ailleurs. Le parcours est d’environ 1000 mètres, alternant grandes salles à voûtes hautes, couloirs étroits et bas.

Trois caractéristiques se dégagent de cette visite :
- la beauté du site en tant que grotte avec ses concrétions, ses drapés qui éclairés sont magnifiques, ses stalactites et stalagmites, ses fistuleuses ;
- la présence au sol, à la fois compacts et dispersés, d’ossements par milliers, ossements d’ours (pas d’ossements humains) dont 200 crânes d’ours (l’un d’eux fait 55 centimètres, ce qui renvoie à un ours debout de 3,5 à 4 mètres) ;
- la présence sur les parois, à la fois compactes et dispersées, d’oeuvres d’artistes aurignaciens (430 dessins à l’ocre, au charbon de bois et gravures au doigt ou avec un outil de silex)

Ce qui surprend, mot minimal pour dire ce qu’on éprouve, dans la découverte de ces œuvres :
- la densité croissante des œuvres au fur et à mesure qu’on s’enfonce, la salle des chevaux et la salle des félins étant les dernières et offrant la plus grande profusion 
d’œuvres. On pourrait penser à un projet pensé, conçu, de parcours mais l’absence au sol de tassement par opposition aux bauges des ours, manifeste que les salles n’étaient fréquentées que par les artistes et leur équipe, très petit groupe agissant pendant l’absence des ours soit les belles saisons : ce travail n’avait pas de fonction muséale, pédagogique, religieuse...

- la diversité en taille des œuvres, de quelques centimètres à 2 mètres 50 pour les lionnes dont le dos est dessiné d’un seul trait sans reprise ; pour les têtes d’ours, 3 traits ; les oreilles des rhinocéros étant représentées par une forme en guidon de vélo

- la diversité des techniques dont l’estompe permettant de donner du volume, de la profondeur. Techniques allant de la gravure stylisant le sujet (le hibou, certains mammouths) à la composition abstraite à base de paumes en passant par les dessins à l’ocre, les plus anciens (bien que n’ayant pas été datés – il n’ y a pas volonté forcenée de datation, les scientifiques préférant conserver en l’état pour ne pas avoir à prélever ce qui entraîne nécessairement une dégradation – on sait qu’ils sont plus anciens car on en trouve recouverts par des dessins au charbon), en terminant par les dessins noirs au charbon ou au manganèse et là on a aussi bien des dessins d’une vérité, d’une modernité extraordinaire (les chevaux particulièrement vivants) que des stylisations (le bouquetin qu’on voit de si près qu’on nous presse de passer pour ne pas l’abîmer). À noter aussi les représentations en perspective, cet effet étant obtenu de plusieurs façons, en particulier pour les bisons qui nous regardent de face, leur corps étant de profil ou pour les cerfs, mégacéros dont la 2° patte est moins nette que celle qui s’offre à nous en premier
- la variété du bestiaire, essentiellement des animaux dangereux qu’on ne chasse pas, dont on se méfie mais qui en représentation ne sont jamais montrés dans leur dangerosité, seulement tels qu’ils sont, montrés dans des scènes de vie (affrontements de mâles rhinocéros, lionne se refusant au lion qui veut la couvrir, lionnes prêtes à bondir, bisons en cavale pour échapper aux lionnes)
- la variété des emplacements : de tels emplacements dans des musées obligeant à toutes sortes de contorsions tellement les emplacements sont insolites contribueraient à diminuer le nombre d’entrées. Là, on prend plaisir à être surpris car les parois ne s’éclairent qu’avec les lampes de nos casques et les deux puissantes lampes des accompagnateurs qui se servent aussi d’un stylo optique pour nous montrer à distance (parfois 15 mètres) telle ou telle particularité. Il faut se pencher, tourner la tête d’une certaine façon, prendre le bon recul (30 mètres au moins) pour voir par exemple le pubis de la Vénus « couverte » peut-­être par un bison. La niche du cheval de la salle du fond est une merveille, naturelle et préparée, mise en scène. Les dessins sont nichés dans des endroits insolites comme pour nous surprendre et il faut effectivement les dénicher. Ils ne s’offrent pas à première vue.
- l’enchevêtrement des dessins : de toute évidence, par les datations faites qui étalent les dessins entre 31500 et 27500, il y a des réalisations séparées de centaines voire milliers d’années (même bestiaire, mêmes techniques). Ces réalisations différentes au même emplacement, parfois respectent le travail antérieur, parfois ne s’en 
soucient guère. Cela donne une impression de profusion : un feu d’artifice d’animaux, en particulier pour la salle des chevaux et celle des lionnes
- les mains positives et négatives, celles-­ci moins nombreuses, et les paumes manifestent bien la présence des artistes mais la signification de ces mains (celle de l’aurignacien d’1 m 80 au petit doigt cassé et celle d’une femme ou d’un adolescent) sur les parois reste mystérieuse (ce n’est sûrement pas une signature car de telles mains n’apparaissent que parfois)

- la fraîcheur des charbons, des traces d’argile, la netteté des dessins, parfois griffés par les ours, parfois dénaturés par des coulées de calcite procurent la sensation que les artistes viennent à peine de quitter la grotte et cette sensation se combine avec l’impression très nette que ces artistes nous échappent complètement, irreprésentables, définitivement inconnus et inconnaissables, présence très forte, absence tout aussi forte.

Au sortir de la grotte, nous remercions nos accompagnateurs, précis et discrets, respectueux du rythme que nous avons donné à notre déambulation et tentant de répondre à nos multiples questions.

Nous déjeunons à l’auberge en compagnie de la conservatrice et de l’initiateur de cette visite.
Les discussions portent sur les interprétations données à ces œuvres d’artistes. Sont récusées les interprétations par le totémisme, le chamanisme. Ces œuvres n’ont pas été vues par les enfants des tribus : elles n’ont pas de fonction pédagogique. Elles n’ont pas été vues par les adultes : elles n’ont pas de fonction symbolique de représentation du monde. Elles n’existent que pour
 elles­-mêmes, que pour les artistes les réalisant et pour ceux qui interviennent après sur les mêmes parois. Récusée en partie donc la solution évoquée par Emmanuelle Arsan sous le titre : Parce qu’ils ne pouvaient pas s’en empêcher, solution consistant à faire de ces artistes des rebelles et marginaux, échappant aux règles du groupe, se réfugiant dans la grotte, se livrant aux délices de l’art préféré aux duretés de la chasse.

Il semble que ces sociétés nomades se communiquant l’adresse des sites aient voulu détacher quelques­uns d’entre eux pour ce travail, les prenant, eux et leur famille, en charge économiquement pour qu’ils puissent donner tout son essor à leur génie artistique, inventant la perspective, le mouvement, la profondeur, la composition. Voilà un art qui surgit d’un coup, dans sa perfection, non préparé par des mouvements antérieurs, par une accumulation technique produisant une mutation à un moment donné.

La grotte Chauvet remet en cause tout ce que nous avions admis avec les travaux d’André Leroi-­Gourhan. Dans la grotte Chauvet, l’art de l’homo sapiens sapiens, nous, surgit d’un coup, dans sa perfection. Et cela a été rendu possible par une société suffisamment généreuse pour libérer ses artistes, les laisser à leur travail créateur, sans contrepartie, en toute gratuité. C'est l'hypothèse que je préfère. Elle ouvre des perspectives sur gratuité et créativité à l'opposé du modèle dominant, le marché de l' « art ».

Paru dans Journal d'un égaré, 2018, pages 22 à 29

bestiaire de la grotte Chauvet
bestiaire de la grotte Chauvet
bestiaire de la grotte Chauvet
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bestiaire de la grotte Chauvet
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Défense et illustration de L'Ensemble À Nouveau / Katia Ponomareva

Rédigé par grossel Publié dans #théâtre, #spectacles, #écriture

Katia Ponomareva

Katia Ponomareva

L'Ensemble À Nouveau est né en 2003.

Théâtre-ensemble itinérant professionnel, né en 2003 de la dissolution de L’Insolite Traversée (créée et dirigée par Cyril Grosse, 1971-2001). Collectif artistique composé d’artistes fidèles venant du théâtre, de la danse ou de la musique. Une compagnie itinérante, qui n’a pas de lieu de création fixe, et qui travaille là où la nécessité de chaque histoire la pousse. Son travail s’oriente vers une écriture de plateau fragmentaire, où le théâtre, la danse, la musique et la vidéo viennent se côtoyer, avec pour point de départ des questionnements thématiques : la vie/la mort - l’amour/le processus de création artistique - la maternité/la naissance - la vieillesse – aujourd’hui la réparation, la reconstruction.

Katia Ponomareva est la conceptrice et la metteur en scène des spectacles de la compagnie, elle conçoit le théâtre comme une manière d’être au monde : je voyage, je rencontre, je vis donc je transmets. Le théâtre, un univers dans lequel tout le monde devrait pouvoir se reconnaître parce qu’il est celui dans lequel s’écoule la vie. Bien sûr, la plupart du temps, ce monde on ne le voit pas ; si familier qu’il s’efface. Et en découper un segment, y placer une action, un personnage, un drame, c’est le rendre visible, et parce qu’il est visible, surprenant. Le théâtre comme endroit de la cristallisation de toutes les émotions humaines, un reflet de « ceux » que nous sommes, dans notre singularité ... unique et universel à la fois ; un endroit, pour évoquer la beauté et le mystère du monde, pour interroger la vie sur ce qu’elle est, le monde sur ce qu’il paraît ; un endroit pour se parler et s’écouter.

Auteur, comédienne, metteur en scène. Elle est titulaire d’une maîtrise d’études théâtrales (mémoire de maîtrise: « Rire et Subversion », sous la direction de Philippe Tancelin) et d’un master professionnel mise en scène et dramaturgie. Elle se forme à l’école de l’Aktéon (Paris), à l’Institut de la Culture d’Oulan-Oudé (Russie) dans la classe d’Igor Grigourko et participe à de nombreux stages et ateliers de recherche avec : Philippe Adrien, Madeleine Barshevska, Dominique Boissel, Eve Bonfanti, Clyde Chabot, Maurice Durozier, Marcel Freydefont, Pascale Gateau, Yves Hunstad, Xavier Jacquot, Nika Kossenkova (Théâtre Tembr’- Moscou), David Lescot, Marion Lyonnais, Maïtreyi, Jean Mingele, Philippe Quesne, Boris Rabey, Christophe Rauck, Olivia Rosenthal, Marie Vayssière.

Après avoir été membre de L’Insolite Traversée, elle fonde en 2003 L’Ensemble A Nouveau et crée : 
- en Avril 2004 : A Nouveau, fragments 1 ou Mon Pays c’est la vie 
- en Mars 2007 : Rien ne sera plus jamais comme avant [A Nouveau, fragments 2]
- en Mars 2010 : On ira voir la mer [A Nouveau, fragments 3]
- en Novembre 2012 : Nous serons vieux aussi [A Nouveau, fragments 4], épisode 1
- en Juillet 2013 : Nous serons vieux aussi [A Nouveau, fragments 4], épisode 2

Elle crée en Juin 2015 : Et puis après j’ai souri [A Nouveau, fragments 5], l’esquisse pour laquelle elle cherche des producteurs, co-producteurs, directeurs de théâtre, désireux de l'accueillir en résidence et en représentation.

Les documents proposés ont pour but de faire sentir la force des réalisations, leur évolution sur presque 15 ans. Il y a là une persévérance qui mériterait une large reconnaissance.

Compagnons de route de Katia Ponomareva : Victor Ponomarev, Olga Fomenko, Dasha Baskakova, Olivier Horeau, Barbara Sylvain, Jacques Maury, Ana Chyra, Yvan Mathis, Jean-Louis Barletta, Didier Ducrocq, Sylvie Delalez, Guillaume Barrois ...

"Hier, dans ma voiture, une amie Hongroise que je connais depuis deux ans, m’a raconté la mort de sa grand-mère. Le jour tombait, presque insensiblement. Son français maladroit, ses chuchotements et ses gestes suspendus glissaient avec les couleurs, la forme mouvante du ciel. Et je pensais à ma grand-mère. Lorsqu’elle eut fini, nous sortîmes. Silence, mer, nuit. Nous avons marché face à la mer, en silence. Les néons bleus du restaurant Le hasard se reflétaient sur le sable, les algues mouillées accompagnaient nos pas. Je fixais son visage, la gravité soudaine de ses traits et je me disais que sans la présence de la mort, rien ne vaut la peine d’être raconté, aucune histoire, aucun livre, aucun théâtre. Silence, mer, nuit. Lumières clignotantes de la ville. Le reste est silence, autour et devant nous." Cyril Grosse (1971-2001)

 

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Notre dernier tango / J.C. Grosse

Rédigé par grossel Publié dans #pour toujours, #poésie, #écriture

À la sortie d'une messe funéraire, une musique retentit et un homme se met à danser, comme s'il étreignait une partenaire invisible. Agnès Lassalle, professeur d'espagnol à Saint-Jean-de-Luz, a été poignardée en plein cours par un de ses élèves. L'hommage dansant de son compagnon endeuillé a été repris par de nombreux médias étrangers.

À la sortie d'une messe funéraire, une musique retentit et un homme se met à danser, comme s'il étreignait une partenaire invisible. Agnès Lassalle, professeur d'espagnol à Saint-Jean-de-Luz, a été poignardée en plein cours par un de ses élèves. L'hommage dansant de son compagnon endeuillé a été repris par de nombreux médias étrangers.

(texte écrit suite à l'atelier d'écriture du 26 novembre 2015 dans la galerie de l'ambassade d'Argentine ; cours de tango assuré par le maestro Coco Dias ; artiste exposé: Alberto Bali ;

avant de commencer j'ai lu Uno et Cambalache, deux tangos célèbres de Enrique Santos Discépolo la consigne a été : personnaliser en utilisant les pronoms personnels Je-Tu-Nous, les possessifs; personnifier les parties du corps en contact: fronts, joues, mains, bustes, cuisses, genoux, pieds, en notant la possible dissociation des parties en question tant chez l'homme que chez la femme

un autre atelier a eu lieu le 17 décembre 2015

Notre dernier tango

sans Paris sous nos pieds

Le monde était mal barré

les gens ramaient

les puissants étaient indécents

les impuissants violents

la planète était épuisée

l'air pollué

dans les villes on sortait masqués

les flics contrôlaient

les glaciers fondaient

les océans montaient

des paysages étaient noyés

des gens migraient

des tsunamis submergeaient

des rives surpeuplées

partout des barbelés électrifiés

des trous pour passer

et s'écorcher

y a toujours des flics

pour se mettre en travers

des chemins de l'espoir

des flics enfants des petits

soutenant les puissants

des mous arrondis du ventre

des illusionnistes de l'action

accrochés à leurs privilèges

à leurs prébendes

Je rêvais de théâtre à vif

dans les halls des banques

sur les quais des gares

les marches de l'Élysée

je rêvais de gens masqués

pour se moquer

des mosquées

et des temples

je rêvais de commedia dell' arte

de marionnettes et pantins

à désarticuler

de Pantalons déculottés

de Matamores démembrés

de Doctors éviscérés

je rêvais que le grand nombre

se mettait à rire aux éclats

cessait de geindre

de se plaindre

cessait de tout encaisser

et se mettait à casser les baraques

de la grande foire des charlatans

Et puis tu as eu mal au dos

tu es entrée aux urgences

à l'hôpital le 29 octobre 2010

à 9 H

tu as été opérée au cervelet

deux fois

ton cancer a été identifié

un cancer de l'utérus

qui avait métastasé

une grenade explosive dans ton corps

Je me foutus du monde

de ses dérèglements

de ses grands fous

des tourments des gens

T'étais foutue

condamnée

tu allais partir

un tout prochain jour

une toute proche nuit

après 16825 jours et nuits

de vie commune

d'amour partagée

après 1 453 680 000 secondes

d'éternité Bleu Giotto

oui secondes d'éternité

car passant

never more jamais plus

il serait toujours vrai

qu'elles étaient passées

for ever pour toujours

ces secondes

inscrivant dans l'éternité

tes sentiments tes émotions

tes pensées

tes énergies tes souffles

écrivant ton livre d'éternité

Alors un dernier tango

ne nous sembla pas de trop

nous avions dansé

tant et tant de tangos

pas pour faire les beaux

mais pour nos abrazos

pris au lasso de nos bras

Tu es sortie du lit blanc

dans ta nuisette blanche

la pâleur de ton visage

éclaboussa mes 70 ans

je mis notre tango

Libertango d'Astor Piazzola

chanté par Guy Marchand

« Moi je suis tango, tango J'en fais toujours un peu trop Moi je suis tango, tango Je ne connais que des rimes en "o" Moi je suis tango, tango J'ai cette musique dans la peau Moi je suis tango, tango Elle me glace jusqu'aux os Moi je suis tango, tango Je l'étais dans mon berceau Moi je suis tango, tango Je le serai jusqu'au tombeau Moi je suis tango, tango Toutes les femmes sont des roseaux Moi je suis tango, tango Que je plie dans un sanglot

J'aime Dire "je vous aime" Même Si c'est un blasphème J'aime dire "Je t'aimerai toujours" Même si Ça ne dure qu'un jour Même si Je n'ai jamais eu d'humour, Il ne m'en faut pas Pour te faire l'amour, Je te serai Toujours fidèle Comme je le suis A Carlos Gardel »

Séparés

à 30 centimètres

l'un de l'autre

respectueux du code

nous avons fait l'abrazo

Je t'ai enlacée comme ça

ma main gauche légère

prenant ta main droite légère

à bout de bras souple

mon bras droit juste

sous ton épaule gauche

pas trop serrée à moi

pour la liberté de tes figures

de tes passes

toi qui savais me mettre

dans l'impasse

où glisser ma jambe ?

Front contre front

nous avons fait

un pas de côté

une marche glissée

et décroisée de 8 pas

8 passes croisées

décroisées

pieds bien sur terre

sans ronds de jambes

nous touchant

du buste

des cuisses

des genoux

des jambes et des pieds

une fente

une feinte

des sourires entre nous

pas un mot entre nous

tango veut dire toucher

Un raidissement

Tu passas dans mes bras

ton dernier souffle

soufflé dans ma bouche

J'ai continué à danser

avec ton corps chaud

abrazo

encore souple

les infirmières n'ont rien fait

pour nous séparer

séparer vie et mort

J'ai dansé un tango

de mort et de vie

notre dernier tango

sans Paris sous nos pieds

sans le ciel de Paris

sur nos têtes

le 29 novembre 2010

à 21 H

Je t'ai déposée sur le lit

j'ai rabattu le drap blanc

caressé tes jambes

embrassé tes mains

et ton visage

baisé tes lèvres

j'ai fermé tes yeux

et j'ai dit

« je t'aime »

Parce que j'aime Dire "je t'aime" Même Si c'est un blasphème

Puisque tu n'es plus mienne J'aime dire "Je t'aimerai toujours" Puisque ça durera jusqu'au jour

Où je passerai pour toujours

Le 29 novembre 2015 à 21 H

Jean-Claude Grosse

(texte écrit suite à l'atelier d'écriture du 26 novembre 2015 dans la galerie de l'ambassade d'Argentine ; cours de tango assuré par le maestro Coco Dias ; artiste exposé: Alberto Bali ;

 

restent les lèvres, rouges, si rouges que le moindre souffle peut emporter / I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes (Rimbaud)

restent les lèvres, rouges, si rouges que le moindre souffle peut emporter / I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes (Rimbaud)

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Le Théâtre et la cité au Théâtre 95 / Changer la ville, changer la vie / J.C.Grosse

Rédigé par grossel Publié dans #EAT (Écrivains Associés du Théâtre), #théâtre, #écriture

Le théâtre dans la cité

ou changer la ville, changer la vie

texte écrit pour le Théâtre 95 à Cergy-Pontoise, non sélectionné

 

La Parole inaugurale (celle de 1965-1970) :

- Vous tous, ici rassemblés, concepteurs et réalisateurs de cet innovant projet de Ville Nouvelle, Cergy Pontoise, je voudrais vous donner des directives claires et un exemple historique. Voyez grand, voyez loin. Pensez à ceux qui se sont lancés, il y a 70 ans, dans un projet fou de Ville Nouvelle en Sibérie. Aujourd’hui, Novossibirsk est une ville de 2 millions d’habitants, vivant 4 mois par an à - 20, - 30°, la ville la plus jeune, la plus dynamique de Russie, avec 250.000 étudiants, avec sa cité des savants d’Akademgorodok. Je suis allé voir ces chercheurs et leurs laboratoires du futur. J’ai survolé le Vexin français, la Plaine de France. Peut-on être aveugle au potentiel de cette courbe de l’Oise à 25 kilomètres de notre capitale ? Tournez-vous résolument vers elle, défiez-là, complétez-là ! Voyez cette carte, ce panoramique ! Il n’y a encore rien. Puissiez-vous caresser de la main ces courbes, ces lignes, ces monts et mamelons, ces vallons, puissiez-vous embrasser du regard ces horizons, ces lointains et ces prochains ! Faites chanter en ritournelle dans votre âme, avant toute projection sur la carte, le nom des 11 villages : Vauréal, Saint-Ouen-l’Aumône, Puiseux-Pontoise, Osny, Neuville-sur-Oise, Menucourt, Jouy-le-Moutier, Eragny-sur-Oise, Courdimanche, Cergy, Boisemont et celui de la ville cent fois assiégée, un temps royale: Pontoise. Pensez à leur position, à leur histoire, à leur population, pensez à ces agriculteurs qu’il faudra exproprier. Fermeté des décisions certes mais justice des indemnisations et respect de ces gens dont la vie va basculer dans un vivre ensemble avec d’autres qu’eux. Respectez ces paysages et ces visages. Inscrivez votre projet dans le temps, sans précipitation, sans déplacement de montagnes. Poursuivez sur ma lancée ! Je vous fais confiance. Mais je vous aurai tout de même à l’œil. Au travail ! 

La Parole technique et artiste (celle des années 1975-2010) :

- La Ville Nouvelle, conçue comme œuvre publique dont il faut faire usage créatif, nous en devons la pensée à Henri Lefebvre. Le droit à la ville pour résister à la colonisation de la vie quotidienne, notre seule vie, par la consommation libéralement imposée, individuellement acceptée. Nous avons dédié, destiné les plus beaux espaces à l’appropriation publique, pas à la propriété privée. Valeur d’usage plutôt que valeur d’échange. Le premier geste structurant de Cergy Pontoise la Nouvelle a été ce grand trait rouge sur la carte, s’affirmant comme l’axe majeur du projet. L’artiste, Dani Karavan, a donné toute sa force symbolique, architecturale, paysagère à une œuvre urbaine attirant des foultitudes et des solitudes dont les usages du site sont d’une variété inouïe. Œuvre encore inachevée de 12 stations édifiées en 30 ans, la Tour du Belvédère, la Place de la Tour, le Verger des Impressionnistes, l’Esplanade de Paris, les 12 Colonnes, la Terrasse, le Jardin des Droits de l’Homme, l’Amphithéâtre et la Scène, la Passerelle, l’Île astronomique, la Pyramide, le Carrefour du Ham. 12 stations, comme les 12 communes, les 12 heures du jour, les 12 heures de la nuit, les 12 mois de l’année. La créativité dans la dénomination des emplacements, des emmarchements, des déplacements, des impasses et des traverses invite à inventer la ville, à s’y inscrire, à la faire sienne, à la marquer d’empreinte et d’utopie. Rue des maçons de lumière, rue du désert aux nuages, rue de la Justice mauve, orange, pourpre, turquoise, verte. Allée de la fantaisie. Avenue de l’Embellie. Boulevard des Merveilles. Chemin de la galaxie. Cour céleste. Passage des murmures, passage de l’aurore, passage du bateau ivre. Place des Allées et Venues. Pas de noms de dérisoires célébrités inaptes à indiquer les parcours de fermeté dont nous avons besoin pour la seule Terre possible, la seule Terre permise, la Terre non promise, la Terre paisible. Avons-nous su respecter la Parole inaugurale ? À vous d’évaluer cette oeuvre évolutive, collective, au rythme décennal ! 




La Parole de l’aède (depuis Homère) :

- Je m’en irai par les rues de Cergy la Nouvelle
par les avenues de Cergy la Prospère
je m’en irai sans attirance pour les valeurs de l’ESSEC
volonté de puissance sur l’autre la vie la nature
fortune à tout prix toute vitesse presse et stress
je m’en irai sans me laisser séduire
par les promesses d’affiches paillettes et strass
je m’en irai à ta rencontre
loin des Avenues des Banksters
et des Places de l’Envie manifestante
loin du court du moyen du long terme
car je sais que là où s’achève
Cergy aux filles de rêve
qui enlèvent le haut puis les bas
je ne t’aurai pas dés/liré(e)

Alors j’irai par les campagnes du Vexin
abandonnées par les maîtres des saisons
livrées à l’ivraie par les servantes de Déméter
j’irai sans m’attarder
dans les auberges au petit luxe
sans m’attacher aux filles légères
ô filles d’indécence sur litières de jouissance
qui te montrent tout par petits bouts
j’irai à ta rencontre
loin des agneaux sacrificiels
loin des sabbats des sorcières
car je sais que là où se ressourcent
les nostalgies de Belle et Grande Époque
à Vauréal Menucourt Courdimanche
je ne t’aurai pas dél/siré(e)

Alors j’irai jusqu’au carrefour du Ham
là où se perd le rayon laser de l’Axe Majeur
car c’est ailleurs qu’il faut chercher
nos sentiers de la première chance l’unique
vouloir l’amour du dernier jour
comme au premier jour
car je sais que là où rien ne s’indique
au hasard d’un brouillard
je crois bien que je te connaîtrai
passage de Bonne Espérance
impasse des Naufrages
traverse des Renaissances
éloigné(e) de toute maîtrise comme de toute servitude
vivant nos vies sans hurler à la mort ni aboyer à la lune
jusqu’à épuisement de nos jours et de nos nuits 





La Parole du directeur du Théâtre (depuis Jeanne Laurent, 1946) :

- Ma parole, quel rôle puis-je jouer dans cette œuvre publique et collective qui  amorce sa quatrième décennie, avec ce théâtre public à scène modulable de 400 places ? Je ne suis l’homme d’aucune maîtrise, pas homme non plus de déprise, courtisan sans courbettes tant des hommes politiques que des publics. Éclectique, pour toucher, satisfaire le plus grand nombre qui reste un petit nombre. Que faire ? Je propose des formes multiples et nouvelles selon l’air du temps. Parfois je précède, le plus souvent, je suis. Je provoque des débats contradictoires qui n’aident personne à se repérer, encore moins à penser. Moi-même ne me prononce pas. Faut-il prendre sa part de la misère du monde, comme Cergy, formidable ville d’accueil, l’a fait ? Comment évaluer cette part ? Ai-je une ligne artistique convaincue, un axe politique fort ? Si j’en crois ma durée à ce poste de directeur du Théâtre, il y a peut-être une reconnaissance publique de notre travail rassembleur et découvreur, fruit d’adaptations diverses, de compromis consensuels. Puis-je continuer à marquer petitement mais essentiellement cette Plaine de France par mon amour de l’éphémère ? Mes amis ici rassemblés, sous l’Atrium, notre Passerelle, liaison entre l’ancien et le Nouveau théâtre, je vous invite à inventer avec nous de nouveaux usages du théâtre public. Déjà, nous sortons des murs, nous allons à votre rencontre, nous donnons la parole à vos formes d’expression, nous voulons les faire entrer au répertoire. Oui à La Princesse de Clèves, oui à Pierre Guyotat, oui au Slam. Comme Molly en conclusion d’Ulysse, je dis « et oui j’ai dit oui je veux bien  Oui »

 

Jean-Claude Grosse (juin 2010)

les questions du mode de vie de Trotsky / de la vie nouvelle aux problèmes urbains URSS 1917-1932, un livre remarquable sur les tentatives de transformation de la vie et de la ville en union soviétique / le droit à la ville, livres essentiels d'Henri Lefebvre
les questions du mode de vie de Trotsky / de la vie nouvelle aux problèmes urbains URSS 1917-1932, un livre remarquable sur les tentatives de transformation de la vie et de la ville en union soviétique / le droit à la ville, livres essentiels d'Henri Lefebvre
les questions du mode de vie de Trotsky / de la vie nouvelle aux problèmes urbains URSS 1917-1932, un livre remarquable sur les tentatives de transformation de la vie et de la ville en union soviétique / le droit à la ville, livres essentiels d'Henri Lefebvre
les questions du mode de vie de Trotsky / de la vie nouvelle aux problèmes urbains URSS 1917-1932, un livre remarquable sur les tentatives de transformation de la vie et de la ville en union soviétique / le droit à la ville, livres essentiels d'Henri Lefebvre

les questions du mode de vie de Trotsky / de la vie nouvelle aux problèmes urbains URSS 1917-1932, un livre remarquable sur les tentatives de transformation de la vie et de la ville en union soviétique / le droit à la ville, livres essentiels d'Henri Lefebvre

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Jean-Claude Grosse ou la poétique de l'égarement / Jean-Paul Gavard-Perret

Rédigé par grossel Publié dans #JCG, #cahiers de l'égaré, #poésie, #écriture

Jean-Claude Grosse ou la poétique de l'égarement / Jean-Paul Gavard-Perret
Jean-Claude Grosse ou la poétique de l'égarement / Jean-Paul Gavard-Perret

 

Jean-Paul Gavard-Perret



Jean-Claude Grosse
ou la poétique de l'égarement



I. L'errance et l'aporie.


D'abord donner voix à une femme, pas n'importe quelle femme. D'abord, aussi, commencer par un détail : pas n'importe quel détail. Ainsi la voix de cette femme : "je partage votre passions (nous avec) des beaux seins (...) qui m'invitent à une errance impérative plutôt qu'à l'arrêt sur l'image de l'aporie" . Et soudain surgissent deux mots essentiels pour comprendre le parcours de Jean-Claude Grosse : l'errance et l'aporie. Il n'en manque plus qu'un pour que la trilogie verbale soit parfaite : résistance. En trois mots, donc, ce premier voyage dans la parole de l'aimant, dans la parole aimantée.

Chez Jean-Claude Grosse, en effet, tout est affaire de vie, d'accueil, de gourmandise. Pour cela l'écriture fait table rase de tous les "flics de l'exactitude" qui rendent la vie insupportable. Non que le poète cultive le flou : au contraire. Mais il refuse les dichotomie, les scènes de genre, les choses mal vues, mal dites. La vie est plus compliquée que ça, même dans les tripes : "ça bande, ça débande", et aller jusqu'au bout ne signifie pas, toujours, qu'il faille conclure. Belle leçon de vie, belle leçon d'amour, qui, bien sûr, ne satisfait pas le machisme de surface, mais ouvre l'écriture à d'autres abîmes.

Paroles d'aimant(e) est à ce titre significatif, comme, d'ailleurs, la "conversation" croisée du poète avec Emmanuel Arsan.  Car, tout, un jeu se joue sur le masculin féminin, le masculin de la femme, le féminin de l'homme, sans confusion, bref le double "je" (et pas forcément le double jeu, le "bouble-bind") de l'être "tel qu'il devrait être". Tout cela avec délicatesse, pudeur, et impudeur (du moins ce qu'on prend comme tel), aux bouts des désirs, des limites, des peurs. L'homme, celui que l'imaginaire ne voudrait qu'avec des "couilles", peut, des femmes, n'attendre qu'"à être bouleversé par leurs histoires".  Une chose simple, mais pas si simple que ça. Et Jean-Claude Grosse ose l'aveu, ose l'amour d'une femme qu'il ne cherche pas seulement à "avoir".

Là, soudain, une autre "sagesse" (on osera le mot), une autre vérité.  Qui se dessine dans un lent travail de recouvrement. Le poète est en effet un poète rare, il n'est pas au service de son ego. Et son travail sur le terrain en est un exemple, parmi d'autres. Au service de la culture, celle qui se veut supplément d'âme et supplément de corps, Jean-Claude Grosse, par les Quatre Saisons du Revest, entre autres, a permis à toute une génération  de trouver un lieu, de trouver un départ dont le magnifique album Donjon Soleil , permet de donner l'état des lieux de dix ans de travail.

Forcément, Jean-Claude Grosse écrit peu : mais bien. Sa poésie est un chant, chant, certes intimiste, mais paradoxal, chant de vie rêvée mais pas de vie en rêve. Autre chose le chant comme en témoigne ses quelques vers:
        Je l'aime
        sur fond de Côte d'Or
        douceurs de chocolat sur ma langue
       celles de tes rêves gourmandes
       je rêve de l'impossible baiser".
La poésie se fait humble, gourmande et essentielle. Le poète, en ses doutes, distille une écriture de l'éros, mais la plus subtile qui soit.

Car c'est bien de l'éros qu'il s'agit, cette force qui lutte contre la mort, mais loin des niaiseries. Le quotidien transpire ici. Il y a les départs, les refus, l'acceptation de la solitude de l'échange:
       ce n'est par parce que tu m'aimes
       que je dois répondre à toutes tes attentes",
dit Grosse, mais, chez lui,  la réciproque est vraie. Et il y a aussi, la vie qui va, avec
      émois gratuits sans calcul
     aptes à tout pari
     à toute méconnaissance de l'autre".
Une nouvelle fois tout est dit. L'amour n'est plus une dévoration de l'autre. 

Il y a les erreurs, encore, les errances, les désespérances mais aussi les sourires et les désirs (même s'ils ratent parfois) qui font une vie. Il y a aussi les mots pour le dire. Les mots "qui jouent et qui taisent", ces mots de silence, qui savent le silence, qui écartent les "comment ne pas dire" de certains "comment dire", ce qu'à si bien compris, dans l'oeuvre de Grosse, Emmanuelle Arsan, si proche, si loin...

L'écriture de Jean-Claude Grosse possède, ainsi ,cette saveur velouté de l'éphémère, mais un éphémère qui dure. Car même écrit à la craie sur le corps d'une femme, dans une version moins possessive, captive mais plus capiteuse, encore, que The pillow Book de Greenaway, les mots qui s'effacent perdurent. Comme perdurent ces émotions rapides, ressenties dans des instants - apparemment ratés - jusque dans les allées d'un supermarché, rayon yaourts, entre les Kremly et les Chambourcy. Il suffit d'un sourire, un sourire qui change tout, qui change la vie, par la grâce d'un instant.

Jean-Claude Grosse possède, donc, la capacité de saisir et de dire ces petits riens qui font tout, de saisir, aussi, les instants ratés qui prennent alors une valeur essentielle. Le poète sait les monter en épingle sans se monter la tête. Il sait qu'il n'y a rien de neuf sous notre soleil : "c'est toujours avec  du vieux que nous jouons ce jeu si vieux", mais ce jeu en vaut la chandelle, et, à sa manière, Grosse est le poète de l'amour fou, le seul, le vrai, celle qui laisse l'autre à se liberté.

II. La communauté inavouable.

Avec lui, en effet, les femmes sont fille de l'eau, filles de l'air mais jamais du calvaire. Et le poète inscrit  une mythologie particulière. En ne parlant que de l'amour, mais pas n'importe comment, il ouvre une relation intense à ce sentiment majeur. Qu'on lise, à ce propos, sa réflexion sur le fameux adage de 68 : "Faites l'amour pas la guerre". Ceci, pour lui, n'est pas une simple idée, mais pas, non plus, une idée simple. Il se peut, et Grosse le dit,que  l'érotisme soit même un "mythe"...

Alors imaginez, imaginez le pire. Que l'ange devienne bête ou la bête l'ange et l'être disparaît. Entre érotisme et pornographie il existe "un jeu qui se joue au millimètre près". Tout se joue dans cet écart infime : l'amour, le politique, la vie. Entre libération et exploitation, entre le voile et le dévoilement, les repères ne sont pas si simpleS qu'on voudrait se le faire croire, même si les choses semblent avancer. La preuve : on divorce plus qu'avant, mais cela change-t-il quelque chose au problème, profondément?

Dès lors, la communauté des amants restent toujours inavouable. Mais pas inavouée. Et Jean-Claude Grosse, risque l'écart, l'écartement. Aimer n'est-ce pas toujours aimer l'autre par défaut? Le poète nous met sous les yeux ces rapports menacés, espérés. Il "apprend" des espaces de libertés, des espaces de dangers. Il décolle des images acceptées, de toutes ces re-présentations (les poètes souvent ne font que resservir les même plats) une autre image. Le féminin, le masculin n'est pas ce qu'on croît. Grosse les mêle, sans les confondre. Pour que les choses soient dites, autrement, pour que les choses soient faites, autrement ; pour éviter ces "cela a été fait" chers à Duras, pour laquelle,  si l'acte est accompli, et il l'est, il n'y a rien eu. Pour l'auteur de Parole d'Aimant(e), à l'inverse, autre chose un acte. Et pas forcément celui qu'on attend (de l'homme en particulier qui ne joue plus ici les bellâtres).

Donc, pas d'affirmations abruptes : rien que des affirmations déplacées, donc difficiles. Jean-Claude Grosse laisse marcher ensemble les contraires. Il ne simplifie pas (même si l'écriture est apparemment simple). Mais l'écriture, quand elle devient simple, n'est pas simple écriture. C'est, alors, que quelque chose passe, entre, sort. Grosse ne "dispose" pas son écriture, comme il ne dispose pas de l'autre. L'écriture comme l'autre échappe. Et c'est ainsi que quelque chose circule, autrement. Comme, dans la petite histoire circule la grande, mais qui ne sera que sa soeur, soeur du rêve et soeur du noir. Peut-être ça l'émotion, la vraie : cette résistance non à l'autre mais à soi-même, pour le vrai désir. Et, de la sorte, revenir à l'Aphrodite païenne, à Ève, à Lilith, mais mieux, en acceptant l'étrangeté de ce qui ne peut pas, forcément, être en communion. Là le seul rapport amoureux, provisoire, déserté (d'une certaine façon) mais plein, à la fois. Voilà la seule "leçon" : en accepter l'énigme, l'énigme de la présence et le don. Ainsi, boucler, la boucle : mais pas n'importe comment.

III. La poésie comme une boucle étrange.

A la base de chaque être demeurera toujours son  principe d'insuffisance : au monde, à l'autre, à lui-même. Évidence que le poète n'a pas besoin de rappeler mais qu'il "acte". Cette conscience d'insuffisance fait tout, là tout se joue : l'appel à la conscience, au corps. Sans vouloir, pour autant, "prendre" la part cachée de l'autre. Certes, pour faire court, dans chaque rapport amoureux, la substance de l'autre est contesté. Mais Jean-Claude Grosse rappelle qu'on peut faire mieux. Ne pas rechercher dans l'autre, l'autre de soi-même mais notre propre contestation et penser l'autre dans le rapport le plus intense mais comme individu séparé. Cela l'amour, le "vrai", le "fou", dont nous parlions plus haut. Cet appel à cette communauté inavouable. La seule. La seule effervescente. Pas de prétendue fusion (on le sait depuis Bataille). Pas cet abaissement. La communauté de l'amour ne peut se fonder sur cette illusion d'optique. Toujours préférer le "je te laisse vivre "au "je te fais mourir" (d'amour, de mort, puisque, qu'alors, c'est tout comme).

Ainsi, si chez Grosse, l'amour occupe une place centrale, il occupe une place singulière. Il assure, d'une certaine façon, l'impossibilité de sa propre immanence. Il existe une différence entre être épris et être pris. C'est là tout le prix de cette quête de vie. De cette quête d'amour. Cela l'amour sans quoi il n'existe ni de présence ni d'être. C'est pourquoi, par sa poésie, l'auteur s'expose, expose en s'exposant, sans porno-graphie (de sa part), sans voyeurisme (de la part du lecteur). Cette exposition est un appel à voir non dans mais sous les images, c'est-à-dire dans le repli des images apprises. D'une certaine manière, la voix qui dit "viens" doit rester sans écho. Là l'impossibilité de l'amour dans sa possibilité la plus nue.

Loin des théories sulpiciennes et des théorises de violence sacrificielle (à soi ou à l'autre), Grosse apprend l'autre chose de l'amour : ce qui résiste (pas ce qui fait résistance). Ce "ce qui résiste" est le seul gage de la liberté, l'acceptation de l'espèce, de sa présence (de son retour) ou de son absence (de son refus).  Là la part du risque, du multiple et de l'un à la fois, la part du feu et de l'ombre. L'autre ainsi qui résiste. Et cette résistance qui offre le seul abandon, loin des dichotomies à la "mords moi le noeud" (à tous les sens du terme). Et l'appel à l'infinie altérité, (qui fait si peur mais par laquelle tout passe) pour qu'il y ait, enfin, de la vie dans la vie, non de la mort dans l'amour. Cela la vraie résistance, celle qui fait mouvement.

Ainsi, quelque chose de la vie, quelque chose de l'amour. L'amour, rien d'autre, peut-être que la façon de survivre. De mieux en mieux, si possible. L'amour contre le mort. Tout ce qui restera. Ce qu'on a à offrir. Et rien à attendre de plus.

Juste ça : ce qu'on donne, ce qu'on sent, ressent. Le seul mythe valable à traverser le temps, le seul chant doux-amer, sans retour à la mère pourtant, ce chant qui, il y a trente ans, aurait pu faire la fortune de l'auteur. Qu'on se souvienne:
       "Mite pour mythe
       se monter en bateau
       et (ou)
       monter en bateau",
prendre le large, mais ici même. Jean-Claude Grosse à l'ombre d'Emmanuelle (mais d'une autre aussi). On pourrait tomber plus mal. Il aurait pu tomber plus mal. Il le sait.

Alors rien d'autre que ça la vie, l'amour, la poésie : cette mise en, appétit de vie : "j'aime les livres qui me dilatent" écrit quelque part l'auteur. Sa poétique est toute là : cet appétit.  Sa poésie, aussi, cette poésie de dessous le manteau ou, plutôt, du dessous des cartes, des fausses cartes du tendre, des cartes du faux-tendre (du faut tendre?), pas des grandes surfaces (entre Chambourcy et Kremly). Contre le voyeurisme il impose  cet ob-scène que le regard doit apprendre à voir. De ça, de la vie. Qui retient;  Le seul moyen de la changer. De revenir à elle. Emmanuelle. Et les autres. La scène primitive, la scène toujours nouvelle.


Jean-Paul Gavard-Perret


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