philosophie
La nature et l'homme
PHILOSOPHIE. « La Nature et l’Homme », de Marchel Conche
Né en 1922, le philosophe Marcel Conche a eu 99 ans le 27 mars. Cela ne l’empêche nullement de réfléchir, ni d’écrire. Pour preuve cette série de 109 fragments où se répondent, comme autant de courts chapitres, interrogations métaphysiques et souvenirs d’une vie. Il est ici question de la nature qui doit remplacer Dieu, d’Héraclite et du changement universel, des femmes aimées, des amis présents ou perdus, des souvenirs toujours vifs d’une enfance rurale – entre autres et tour à tour. Par-dessus tout, avec humour ou gravité, se trouve célébrée la philosophie, considérée comme vocation et choix de vie originaire. Un petit paysan fit à 13 ans des Pensées de Pascal son livre de chevet, ne put aller au lycée, apprit tard le latin et le grec, édita finalement Héraclite aussi bien qu’Epicure et devint professeur à la Sorbonne. La recherche de la vérité organise cette existence, ce qui constitue une rareté. R.-P. D.
compte-rendu du Monde des Livres, rédigé par Roger-Pol-Droit, publié jeudi 6 mai
Est paru, le 27 mars 2021, pour ses 99 ans, le dernier livre de Marcel Conche : La nature et l'homme.
ISBN : 978-2-35502-123-7
192 pages / 19 €
référencé et distribué par Soleils Diffusion, 3 rue Jean Dollfus, 75018 Paris
Avant-propos
La nature est le lieu sans limites où naissent et persistent des mondes innombrables. On peut parcourir indéfiniment la nature : elle est donc in- définie. Mais elle est aussi infinie, car on ne peut rien lui ajouter qui ne serait pas naturel. Un monde est une totalité structurée. Une grenouille perçoit d’innombrables excitations. Ces excitations ne forment pas un ensemble disparate : elles ont une unité car la grenouille est une, l’ensemble des excitations est donc une totalité structurée, un monde. C’est le monde de la grenouille. La grenouille ne peut sortir de son monde, pas plus que le serpent du sien. Autant d’êtres vivants, autant de mondes qui mutuellement s’ignorent. Aucun être vivant ne peut se mettre à la place d’un autre pour percevoir la nature comme il la perçoit. Autant d’êtres vivants, autant de perceptions différentes de la nature. Autre est la cour de la ferme pour le canard, autre pour le crapaud, autre pour le hérisson. Le canard ne peut se mettre à la place du hérisson pour voir la cour de la ferme en hérisson. Mais l’homme non plus ne le peut. La nature se diversifie selon la diversité des êtres qui vivent et la perçoivent. Encore en est-il de même pour la diversité des humains. La forêt n’est pas la même pour le charbonnier, pour le chasseur qui dans les bêtes innocentes voit des proies, pour le peintre ou le poète, et pour le philosophe amateur des chemins qui ne mènent nulle part. Que faire d’autre que d’avancer comme on peut dans l’obscurité des choses ? Depuis quand cette obscurité s’est-elle éclaircie ? Nous sommes, humains, sur la planète Terre. Par quelle cause ? Selon la théorie de la panspermie, les germes de vie sont venus de l’espace, apportés par des météorites ou des comètes. Cela explique le comment. Reste le pourquoi. Après la cause qui explique vient la raison qui justifie. Justifier et montrer que ce qui a lieu est bon, existe en vue du bien. L’homme est sur cette Terre pour faire être le bien, pour agir en vue du bien. « L’homme » ce sont les hommes, les nations, les États. Chaque chef d’État doit avoir en vue, non pas seulement l’intérêt de son État, mais l’intérêt de l’ensemble des États, qui est de réaliser la paix universelle, préface à l’amour universel.
LXVI
Le non engagement
Si l’on considère l’ensemble de ma vie, on peut dire que j’ai choisi le non engagement.
Mon cousin germain Fernand s’est engagé dans l’armée. Il est venu à Altillac se montrer chez mes parents, avec son bel uniforme de sergent-chef. Je n’ai pas vu en lui un exemple à suivre et je ne l’ai pas admiré. Mais j’ai souffert lorsqu’il a été tué à la guerre.
Je n’ai combattu pour aucune cause : ni la cause politique, car je n’ai adhéré à aucun parti, ni la cause nationale, car je ne me suis pas engagé dans la Résistance, contrairement à Marie-Thérèse et à mon père, ni la cause internationale.
Nous vivons tous une brève vie. Il ne faut pas par imprudence, la raccourcir encore – en fumant la cigarette, en buvant des apéritifs alcoolisés, en pré- férant trop souvent le vin à l’orangina, en fatiguant son corps par des efforts excessifs. Il faut surtout ne pas risquer de la raccourcir en s’engageant dans des actions où l’on risque sa vie.
Je pense aux guerres de 14-18 et de 39-45. Je n’ai pas participé à la guerre de 39-45. Il est certain que je n’aurais pas participé à celle de 14-18. Cette certitude tient à la conscience que j’ai de moi-même.
« Connais-toi toi-même » : telle est la leçon des Grecs. Je me connais en ce sens que je sais ce que je veux et aussi ce que je peux vouloir et ne vouloir pas.
Je sais que je ne peux rien vouloir de ce qui porterait préjudice à ceux que j’aime, à mes amis, à mon pays, et qu’au contraire, je veux travailler de façon à réaliser une œuvre qui ait de la durée.
Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure
Certes, je vais mourir. Mais mon âme ne meurt pas, car mon âme est dans les livres. Et comme auteur de mes livres, mon nom est dans le dictionnaire Larousse, lequel ne disparaîtra qu’avec la civilisation.
Ne pas s’engager c’est ne pas risquer de faire naufrage, c’est ne pas susciter des rivaux et des jalousies, c’est préserver ses forces comme Napoléon le faisait de sa garde. Ne pas s’engager, c’est aussi laisser les événements suivre leur cours, sans intervenir plus que sur des phénomènes météorologiques.
LXXIV
Le moi et Héraclite
Puisque « tout s’écoule », selon Héraclite, le moi, comme toutes choses doit s’écouler. Pas plus que le fleuve dans lequel on entre à midi n’est le même que celui dans lequel on est entré ce matin, le moi qui s’éveille le jeudi matin ne saurait être le même que celui qui s’est endormi le mercredi soir. Cependant la carte d’identité me dit que c’est la même personne. Si la société devait tenir compte du fait que chaque personne varie sans cesse, l’ordre social serait impossible, et même l’ordre familial. Le père reste le « père », le fils reste le « fils », l’oncle reste « l’oncle », même si chacun a beaucoup changé. Certes rejoignant Alfred après plusieurs années où il était au Maroc, je puis dire : « Comme il a changé ! ». Je le reconnais néanmoins. Nous faisons continuellement abstraction des changements que nous constatons chez les personnes, nous rangeant au point de vue de la société qui veut qu’elles soient les mêmes. Le « tout s’écoule » d’Héraclite est une vérité philosophique qui contredit l’expérience et la vie quotidiennes. Pour Héraclite, le fixe n’est qu’une apparence. Il n’y a rien de fixe. Même la tour Eiffel bouge quelque peu. Or, l’homme agit, et il ne pourrait agir si son action ne pouvait s’appuyer sur des choses fixes, telles que la charrue, la bicyclette, le tracteur, les outils (du menuisier, du charpentier, etc.). La philosophie fait voir les choses en profondeur et dans ce qu’elles ont d’éternel. Mais l’on vit dans le présent et l’écoulement, entre le passé, écoulé et voué au non-être, et l’avenir, non encore écoulé. Sous la fixité des apparences, la mouvance maintient son règne. Car tout se meut, s’écoule et, écoulé, va au néant. De toutes les actions de l’homme, de toute l’histoire humaine, que peut-il rester au bout de 106 milliards d’années ? Mais l’âme n’est pas à oublier. La religion et certains philosophes disent qu’elle est immortelle. Mon âme est dans mes livres. Ai-je une âme autre que celle qui est dans mes livres ? Je n’incline pas à le croire – tout en suspendant mon jugement.
Marcel Conche, philosophe, psychologue et moraliste
Dans ce nouveau livre, le philosophe Marcel Conche se révèle un étonnant psychologue et moraliste. Il rappelle l'importance qu'il donne à la nature, mais analyse aussi avec finesse divers senti...
une note de lecture de Yvon Quiniou
note de lecture de Gérard Lépinois
note de lecture de Jacques Larrue
Chapeau Marcel ! |
Cahier Qui est Antigone aujourd'hui ?
Qui est Antigone aujourd’hui ?
Parcours d’écritures et de lectures autour du mythe d’Antigone, proposé par Marilyne Payen-Brunet, formatrice, Marie-Agnès Decoopman, animatrice pédagogique, et Moni Grégo, écrivain, femme de théâtre, avec de jeunes apprentis de classes de seconde, première et terminale de l’unité de formation par apprentissage du Lycée agricole et horticole Agricampus de Hyères (Var).
C’est dans un espace merveilleux aux arbres hors d’âge, que j’arrive un jour de février 2020, accompagnée par Jean-Claude Grosse. Ce lycée de Hyères est comme un quartier fleuri où chaque rue mène à des bâtiments largement aérés. Tout est calme et accueillant. Après un café partagé avec Marie-Agnès Decoopman, l’animatrice pédagogique de l’établissement, nous allons rencontrer des élèves de seconde, de première et de terminale qui ont déjà approché le mythe d’Antigone avec leur formatrice Marilyne Payen-Brunet, par des textes, en particulier le texte dramatique original de Sophocle, mais d’autres aussi comme ceux de Jean Cocteau, Jean Anouilh... et le mien, « Les Enfants du Sphinx » paru aux Éditions Domens. Je présente Jean-Claude Grosse, éditeur des Cahiers de l’Égaré venu du Revest, qui me présente, moi qui viens de Sète.
PREMIÈRE DEMANDE DE MONI :
Des élèves par deux, chacun interviewe puis présente l’autre au groupe
et parle de sa relation au texte, au mythe, aux personnages de cette tragédie. Puis un essai par chacun de retracer les grandes lignes de l’histoire des Labdacides
TEXTE 2 - ÉCRIRE : UN MONOLOGUE
Un personnage de la famille des Labdacides parle à la première personne.
TEXTE 3 - ÉCRIRE : UNE ÉNIGME
TEXTE 4 - ÉCRIRE : UNE CÉLÉBRATION DE L’HUMANITÉ
TEXTE 5 – ÉCRIRE : UNE LETTRE
La dernière lettre d’Antigone murée dans sa prison.
TEXTE 6 - ÉCRIRE : UN RAP.
TEXTE 7 – ÉCRIRE : UN DIALOGUE.
Entre un père : Créon et son fils : Hémon
LIBRE DISCUSSION :
Petit point final où je leur demande si tout va bien,
s’il y a des questions, des propositions de choses à aborder auxquelles ils ont pensé ?...
En réponse, il semble que tout va bien, que ces premiers temps ont été très heureux. Nous nous quittons avec le plaisir de prochains temps de rencontres où nous mettrons l’accent sur la lecture en public et la construction d’une présentation d’une heure de ces travaux à partager avec le public, cela en même temps que l’édition des textes aux Cahiers de l’Égaré et la réalisation d’un film par Christian Darvey. Ce projet a été accueilli au Lycée Agricampus de Hyères avec de jeunes apprentis de classes de seconde, première et terminale entre février et octobre 2020.
La restitution publique a été réalisée le vendredi 16 octobre 2020, à 15 H dans le grand amphithéâtre d'Agricampus.
Ce 16 octobre, vers 17 H, Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie et d'enseignement moral et civique, au collège du Bois d'Aulne à Conflans-Sainte Honorine est décapité par un islamiste radical d'origine tchétchène.
Je ne découvrirai l'événement que le lendemain en lisant le journal du bar. Coïncidence ? Synchronicité ?
La Pente / François Carrassan
La Pente
François Carrassan
ISBN 978-2-35502-105-3
112 pages, format 13,5 X 20,5, papier ivoire
4° de couverture
C’était en 1932 à Hyères. Un vélo sans intérêt descendait de la colline du château. Cartier-Bresson l’a vu venir du haut d’un escalier en surplomb de la rue. En un éclair le cycliste inconnu est devenu l’image de chacun de nous dévalant sa vie sur la pente du temps. Le plomb de la réalité avait donné l’or de la photo.
Le château, au sommet de la colline, a été rasé sur l’ordre d’un roi vengeur il y a quatre siècles et nulle image n’en est restée. Seuls des remparts font encore signe en son absence. On peut seulement lire qu’il était majestueux et s’imposait au paysage.
En 2014, une fouille archéologique de son site originel allait être entreprise pour la première fois. La photo s’installa dans mon esprit. Et, comme on allait descendre dans le temps, j’eus l’idée, m’inspirant du photographe, d’en sortir un instant et de le regarder passer.
François Carrassan
extrait
I
La rue des Porches, à Hyères, comme une brèche dans le passé de la ville, passe, large et sombre, sous de très anciennes maisons. Elle longe la dernière enceinte urbaine de la cité médiévale, quand celle-ci s’agrandissait sur les pentes de la colline au sommet de laquelle se dressait le château des seigneurs de Fos. Des meurtrières parsèment encore sa muraille.
Elle s’ouvre toujours au vent qui, sitôt levé, s’y engouffre comme dans une course folle. C’est le bon moment. Des paquets de poussière tourbillonnent sous les voûtes et, d’un pas de côté, vous vous mettez à l’abri dans le chambranle d’une porte qui se pourrait d’époque. Dans un rai de lumière qui tombe de la ruelle voisine, vous voyez la poussière jouer avec les pierres. On dirait le passage du temps.
Oui, comme si, sorti à cet instant du cours des choses et doté du pouvoir de le contempler, vous voyiez devant vous passer le temps.
Un peu, me suis-je parfois dit, à la façon d’Apollinaire marchant le long de la Seine, un livre ancien sous le bras, tandis que le fleuve s’écoule et ne tarit pas.
un retour de lecteur en date du 20 juin 2020
Cher François
Un grand, très grand merci pour ton livre sur " La pente....du
temps"..et ta chaleureuse dédicace... Je l'ai lu d'une traite dès que je
l'ai reçu et j'y ai pris un immense plaisir...D'abord d'y retrouver ma
chère ville de Hyères dont je suis exilé depuis notre déménagement
calamiteux et la perte de ma bibliothèque.....Je t'avoue que dans ta
déclaration d'amour à Hyères j'en ai découvert non seulement l'histoire
que tu racontes par petites touches, mais surtout un "je ne sais quoi"
comme dirait Jankélévitch, qui n'est sans doute sensible qu'à quelqu'un
comme toi qui le ressent avec ses racines, avec ses pores..Le " je ne
sais quoi'" qui fait le charme d'un paysage à travers le passage du
temps que tu perçois si bien dans le cycliste de Cartier Bresson...
J'en ai conçu aussi une certaine amertume envers ma propre impuissance à
adhérer comme toi à ce génie du lieu... étant données les difficultés que
j'ai connues dans mon passé familial, malgré tout ce que mes merveilleux
parents, que tu as connus, ont fait pour moi... Ils étaient de vrais
Hyérois, et avaient le même amour que toi pour leur ville dont ils ne
seraient jamais séparés...
Mon sort a été différent et je me suis vraiment réalisé quand je suis
venu à Paris pour mes études, à une époque où Paris était encore Paris
et où la France était encore la France..
Mais ton livre n'est pas seulement attachant par cette magnifique
évocation de Hyères, tu y exposes des réflexions à la fois légères et
profondes sur la fuite du temps, sur l'éternité dans l'instant et sur le
mystère de la mort que tu abordais déjà dans un livre précédent...Tu
t'appuies sur une érudition qui apporte des fondements à ta promenade à
travers le temps, mais qui ne se montre pas et à certains égards, j'ai
retrouvé dans ton style, dans ta manière l'esprit du XVIII ème siècle
dans ce qu'il a pour moi de mailleur...qui est celui de Diderot dans ses
lettres à Sophie Volland, que j'ai malheureusement larguées avec ma
bibliothèque du Portalet...un naufrage que j'aurais pu certainement
éviter si je n'avais pas céder à l'urgence et à la panique.
Ce que tu écris sur le patrimoine est très juste et sort des lieux communs.
A propos des Noailles tu cites Igor Markevitch qui a raconté dans ses
mémoires, "Etre et avoir", l'histoire mouvementée de sa romance avec
Marie-Laure. Et parmi les amoureux de Hyères, il y a Stevenson qui a
vécu dans le quartier du Continental et dont sa femme a dit qu'il avait
passé à Hyères la plus belle année de sa vie.
Ces retrouvailles avec toi et avec Hyères à travers ton livre
tombent bien parce que je doit faire en novembre une conférence à la
médiathèque dans le cadre d'un projet dont ma fille a donné récemment le
dossier au docteur Roux, un vieil ami de ma famille. Elle voulait aussi
te voir mais a été débordée par son programme et n'avait pas pu te joindre.
Elle va te l'envoyer.
Je ne sais pas encore quel sujet je vais traiter, sans doute sur Tolstoï
dont le frère est mort à Hyères, où il a passé lui-même plusieurs mois.
Ce sera aussi l'occasion de faire mieux connaître la soeur de Tolstoï,
qui aimait beaucoup Hyères. Personnellement je m'intéresse davantage aux
livres et aux idées qu'à des aspects biographiques mais il est important
d'ancrer une oeuvre dans une vie et un terroir.
Si le sujet t'intéresse tu pourrais y participer. Ce serait bien aussi
d'inviter Jean-Claude Grosse qui a beaucoup aidé ma fille quand il
dirigeait son théâtre au Revest.
A propos, je vais le féliciter pour le bel écrin qu'il a offert à ton
texte, avec une typographie adaptée à ma vue ce qui m'a facilité la
lecture.
Gérard Conio
PS Il se trouve que j'ai écrit sur l'instant qui nous sauve du
sarcophage du temps dans une étude sur " La dialectique du double chez
Dostoïevski" que j'ai retrouvée à l'occasion d'un entretien sur le
nihilisme dans une émission de Radio Courtoisie. Je te l'envoie en pièce
jointe.