Cannes 1962 (MM-BB/lettre de Daddy à Norma Jeane)/ JCG
Cannes 1962
La seule fois où je suis allé au Festival de Cannes, c'est en mai 1962. C'était la quinzième édition de cet événement du cinéma mondial. J'avais appris mon départ pour 18 mois en Algérie. Je m'étais dit : Cannes, la Croisette, les marches, starlettes et stars, va te rincer l'oeil, sait-on jamais (aujourd'hui selon le genre on dit mater, harceler) ... avant de regarder dans le viseur de ton flingue.
Ce fut une très belle édition. Dans le jury, Romain Gary, le mystificateur, l'auteur des aveux impudiques de Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable, le mari de Jean Seberg, la rebelle, François Truffaut, qui passa à côté d'elle quand Jean-Luc Godard l'immortalisa avec À bout de souffle. Parmi les 35 films en compétition, L'ange exterminateur de Luis Bunuel, Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda, L'éclipse d'Antonioni, Procès de Jeanne d'Arc de Robert Bresson, Les misfits de John Huston, Les amours célèbres de Michel Boisrond.
Marilyn monte les marches le 7 mai 1962. Les organisateurs lui refont le coup du 15 septembre 1954, à son insu, la subway dress soufflée sur la bouche du métro new yorkais, le délire, incapable de décrire mon état.
B.B. descend les marches le 23 mai, en dansant le torride mambo de Et Dieu créa la femme, l'hystérie, incapable de décrire mon coma.
C'est elle, sur cartes postales, que j'ai emmenée dans mon paquetage, début juillet 1962, sur le piton d'El Aneb où était installé mon PC (poste de commandement). Chance extraordinaire, l'indépendance de l'Algérie venait d'être décidée par le grand Charles. C'est dans un pays en paix que je me retrouvais, personne à tirer, personne pour me descendre, personne à torturer.
Je n'ai pas été sensible aux 36 ans de Marilyn, le 1° juin 1962. Par contre, l'annonce de son suicide dans la nuit du 4 au 5 août 1962 fut très commentée par mes hommes de la 333° CCH (l'équivalent des relais de téléphonie mobile).
La B.B. de papier fut le volcanique fantasme du jeune homme que j'étais, insatisfait par les filles du BMC (le bordel militaire de campagne). J'avais droit à deux coups par semaine, plus tard j'appris que ça s'appelle fellation et que les filles étaient des gamines, prostituées de force, celles des officiers mieux suivies que celles des bidasses et faisant moins de passes.
Marilyn devint avec les portraits des romanciers Norman Mailer, Truman Capote, sujet d'un questionnement sans fin.
B.B. descendit aux enfers de l'oubli avant de renaître en Brigitte Bardot.
Peu à peu, je crus découvrir les femmes derrière les sex-symbols. Je vivais mal l'échec de leurs vies privées. Quel type d'homme aurait pu les satisfaire ? Je n' ai pas généralisé jusqu'à Meetic : peut-on faciliter la rencontre durable de profils similaires, complémentaires, opposés ? Je savais pourtant grâce à Nietzsche qu'il suffit, pour connaître quelqu'un, de 3 anecdotes.
Pour B.B. je compris vite : chaque homme c'est du consommable jetable. Son choix de vie « libre », esclave du désir, est source de souffrances pour le partenaire. Le désir, m'a dit Lacan sur le divan, vise et manque comme à la pétanque, car l'obscur objet du désir n'a pas de réalité.
Pour Marilyn, qui avorta 14 fois, la réponse semblait plus simple. En recherche d'amour et de père, elle rata parce qu'elle tomba sur des machos ; même Arthur Miller fut odieux avec celle qui se convertit au judaïsme pour plaire à sa belle-famille et prit sa défense devant la commission McCarthy.
À 75 ans, mon éducation à l'amour n'étant toujours pas achevée, grâce à deux jeunes filles, pas vierges du tout, pratiquées à 30 ans d'écart, j'ai décidé de renoncer à la femme-objet sexuel étalé sur les murs, dans les magazines, sur les écrans, impraticable au lit et dans la vie, de renoncer à la femme tout court et en long, avec ses paradoxes lunatiques, sa jouissance inaccessible comme la révélation m'en fut faite sur le divan d'où je contemplais L'origine du monde, œuvre bien cachée par son possesseur.
Je ne suis pas allé au Festival de Cannes 2012, dédié à Marilyn pour les 50 ans de sa disparition. Les stars ne me fascinent plus depuis longtemps.
À mon retour d'Algérie en 1964, torturé par les crimes de l'armée française commencés le 8 mai 1945 avec les massacres de Sétif et Guelma, plusieurs milliers de morts, je me suis confié à Lacan. Psychanalyse très spéciale puisque Jacques s'enticha de moi, m'incita à démissionner de l'armée (pratiquant la désobéissance civile, je n'ai pas participé au 70° anniversaire de la capitulation nazie, le 8 mai 2015).
Il m'a donné une lettre inédite de celui que Marilyn appelait Daddy. Il ne m'a jamais dit comment il se l'était procurée ni pourquoi il me la donnait. J'avais la réponse à ma question : quel type d'homme aurait pu satisfaire Marilyn ?
(Lettre de Clark Gable à Norma Jeane, traduite par mes soins. JCG)
« Je sais, chère Norma Jeane, que tu m’as rêvé toute petite en père et effectivement tu aurais pu être ma fille. Je suis du 1er février 1901, toi, du 1er juin 1926. 25 ans d’écart : je ne pouvais être ton homme. Dans notre film Les Misfits, tu n’as pas aimé être Roslyn. Pourtant, Arthur, pas ton mari immature mais l'auteur sachant te comprendre, t’a fait un beau cadeau.
Roslyn, c’est toi, ton enfance difficile, ta relation névrotique à ta mère, faite d’intimité et de rejet, tes angoisses, ta solitude, ton sentiment d’abandon, ton regard émerveillé sur le monde des enfants et des animaux. Candeur radieuse qui se transforme en méfiance dès que nous t’approchons et tombons amoureux de toi.
Roslyn c'est toi, Norma Jeane ; Marilyn, c'est l'Autre que tu regardes dans le miroir, après 7 H de soins de beauté, en disant : je LA regarde.
Arthur avait un cliché dans la tête : L’homme et la femme sont des êtres inconciliables. Tous deux veulent la liberté, mais ne l’entendent pas de la même façon. La femme dit : Tout est sacré. Il ne faut pas faire de mal à une mouche. L’homme répond : Il me faut la liberté à tout prix. S’il faut tuer pour l’obtenir, je tuerai. Le conflit est insoluble. C'est pourquoi notre film est tragique, trois hommes pour une femme, c'est impossible, une femme et un homme aussi. La vie à deux n'est qu'un malentendu plus ou moins durable, j'en sais quelque chose avec 3 divorces et 5 mariages.
Bien que fatigué par mon combat avec l’étalon que je libère, cédant à ton « freedom » hystérique, mon amour-propre dominé, je veux te faire en quelques traits le portrait de ton homme. »
(Clark Gable meurt le 16 novembre 1960, 12 jours après la fin du tournage ; cette lettre non datée a donc été écrite par un homme épuisé, manquant sans doute de lucidité).
« Ton homme aura quelques années de plus que toi. Il aura de la bouteille parce qu’il aura souffert. Il aura l'infinie patience qu'il faut accorder à une hystérique frigide border-line. Il sera capable de t’écouter des heures en tête-à-tête ou au téléphone, à n’importe quelle heure, sans commentaires, sans jugement, sans chercher à apaiser tes angoisses. L’épanchement tous azimuts te fera changer d’humeur. Tu t’aimeras un peu, un court moment, parce que tu te sentiras aimée pour ce que tu es, prise en compte dans tes rêves et tes projets. Il sera à tes côtés, se battant avec toi contre les majors t'exploitant outrageusement. Il favorisera ton désir d’être à la fois star et actrice, tournant à Hollywood, jouant à New York. Il participera au tourbillon de l’adulation, gardant la tête froide, résistant aux pièges des paillettes : l’alcool, le sexe, la drogue. Il sera vigilant, contrôlant discrètement tes cocktails de pilules de toutes les couleurs pour toutes tes douleurs. Il ne sera pas jaloux. Tu fais tourner les têtes. Il sait que tu baiseras ailleurs. Il ne fera pas de scandale, ne cassera la gueule à personne. S’il est moqué, il saura renvoyer les minables reluquant ton cul somptueux, dans les cordes, avec humour. Quand tu rentreras au petit matin, défoncée, il ne te fera pas la fête, ne t’abîmera pas le portrait. Te sachant frigide, violée si jeune par un salaud d'acteur, il ne cherchera pas à te posséder. Il saura que les rapports sexuels sont deux solitudes jamais abolies, que les caresses infinies peuvent mieux que deux jouissances effondrées apporter un éphémère sentiment de plénitude. Si ton désir jaillit, il essaiera d'y répondre avec la patience de l’amant ayant la maîtrise du sien. Si tu te retrouves au 7° ciel sans être le miroir de ses fantasmes, centrée sur tes émois, il aura bien fait son travail d’homme. Il acceptera que tu sois odieuse, de mauvaise foi, que tu le détestes. Il n’exigera aucun retour d’amour. Il lui suffira de se sentir pleinement en vie à morfler comme il morflera. Car il morflera. Surprise totale pour toi. Sans amertume. Sans ressentiment.
Il existe. Ne le cherche pas. Il sera une évidence, non par sa beauté, sa richesse, son savoir, son pouvoir, sa créativité. Par son amour inconditionnel pour toi, Norma Jeane. pour ton cinéma, Marilyn. »
J'ai publié cette lettre dans le livre pluriel Marilyn après tout (Les Cahiers de l'Égaré, 2012). Avec deux commentaires féminins, très instructifs.
Jean-Claude Grosse, le 8 mai 2015
MM dans Les Misfits avec Clark Gable, MM à la cicatrice / BB dans La Vérité de Clouzot et Le Mépris de Godard
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Album - marilyn-monroe - Blog de Jean-Claude Grosse
Les 2 albums sur Marilyn (N et B, couleurs) comportent des photos sophistiquées et d'autres "naturelles". Il me semble intéressant de se demander ce que chacune d'elles provoque en nous: pas facile
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Album - monroe-marilyn - Blog de Jean-Claude Grosse
Les 2 albums sur Marilyn (N et B, couleurs) comportent des photos sophistiquées et d'autres "naturelles". Il me semble intéressant de se demander ce que chacune d'elles provoque en nous: pas facile